Ces rêves qu’on piétine : les effrayants derniers jours de Magda Goebbels

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Pourquoi certains livres plaisent-ils d’avantage que d’autres ? Qu’est ce qui fait que l’on entre en symbiose avec un écrivain, qu’on souhaite pénétrer d’avantage dans son univers, qu’on ressente de la sympathie ou tout autre type d’émotion, plus ou moins complexe, pour ses personnages ? Des questions éminemment subjectives au fond. Pourtant quand un premier roman séduit, c’est parfois qu’il a en germe une potentialité, un style, un souffle incontestables qui dépassent la seule subjectivité, le goût du lecteur. Ainsi de Ces rêves qu’on piétine, le début en littérature de Sébastien Spitzer, publié par les toutes nouvelles et très prometteuses éditions de l’Observatoire.

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Sébastien Spitzer © Pierre Villard / SIPA, courtesy

Voici donc le récit des derniers jours de Magda Goebbels, l’épouse de l’idéologue du nazisme, planquée dans le Führerbunker avec ses six enfants. La « première dame » du Reich fut, sous le règne d’Hitler, adulée par le peuple allemand. Quelque chose intrigue chez ce personnage, malgré la répulsion, le dégoût qu’elle suscite immédiatement. Ce n’est pas son intelligence froide, effrayante, sa lucidité (« Cette mise en scène est absurde. Tout est fini » songe-t-elle en écoutant le ballet donné, comme si tout allait bien, pour les dernières huiles du régime encore en vie, tandis que les combats se font entendre au loin).

Ce n’est pas non plus sa folie (elle se saoule – d’alcool, de sexe, de littérature – pour ne pas penser à son inéluctable futur : elle va empoisonner ses six enfants, sans ciller, à l’approche de la fin). Ce sont ses failles qui sont intéressantes, ce qui fait d’elle un être humain. Cet amour de jeunesse, en particulier, qu’on découvre dans des lettres enflammées et pudiques, belles, qui entrecoupent le récit. Ironie tragique de l’histoire, cette femme qui promut la solution finale fut désespérément amoureuse d’un juif, Victor Arlosoroff. Il sera l’un des premiers raflés.

Il y a aussi cette vie souterraine dans le bunker d’Hitler, que décrit bien le roman. La déchéance, la peur, l’ignominie de l’idéologie nationale-socialiste, qui éclate au grand jour quand tout est fini. Le bout du bout du bout de l’enfer, la vie d’un monde (un sujet très Postap Mag, bien sûr, on reviendra dessus dans un post à venir). Il y a également cette écriture, marquée par une syntaxe extrêmement brève, resserrée, concise. Si elle présente quelques défauts (notamment l’emploi excessif du point), elle a une efficacité, un charme et même une élégance. Prenez cette phrase par exemple :  » Magda noue ses mèches, tresse, coiffe, lisse et décoiffe, puis se reprend pour faire une natte qu’elle assemble patiemment, boucle après boucle, bien serrées, remarque des cheveux blancs dans sa glace et s’ébouriffe encore pour les noyer dans le blond ». Pas un mot de trop.

C’est, enfin une écriture qu’on pourrait qualifier de visuelle. Elle sait faire voir, crée des images, une atmosphère (on recommande au passage à l’auteur, si ce n’est déjà fait, d’écrire un jour des scénarios).

Ces rêves qu’on piétine développe enfin une idée forte (il n’en suffit pas plus d’une, dans un roman) : incarner, au delà du genre archi classique du roman sur le nazisme et la Seconde Guerre Mondiale, le sentiment du tragique à travers cette héroïne qui perturbe, trouble, perd le lecteur, créant en lui des sentiments contradictoires, opposés, complexes, incompatibles. Ce qui est, au fond, l’un des intérêts de la littérature.

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