Nous savons ce que vous avez dans la tête : les bars et restaus fermés, c’est dur, l’angoisse, la solitude, ça pèse, le télétravail, ça va bien cinq minutes mais vraiment, ce qui vous manque par-dessus tout, ce sont les séminaires professionnels dans des hôtels sans âmes à deux pas de l’aéroport de Singapour.
Eh bien en 2021, dites « Adieu ! » à la nostalgie des sols à motif, des éclairages zénithaux à bloc et des murs blanc gris.
Et remerciez pour cela le méga consortium local SingEx Holdings, qui inaugurait tout récemment sa dernière production, réalisée en partenariat avec Temasek, le fonds souverain du Singapour : l’hôtel le plus sain du monde, le Connect@Changi.
À la fraîche sous ma cloche
Avec vingt-neuf décès pour un peu plus de six millions deux cent mille habitants, Singapour fait partie de ces îlots quasiment préservés du coronavirus Sars-CoV-2. Sa méthode repose sur une politique sanitaire drastique, dont le fondement s’avère un traçage extrêmement rigoureux des cas contacts (l’application « TraceTogether » est obligatoire pour se rendre dans certains lieux publics ou commerciaux, et un haut-fonctionnaire a dû reconnaître en début d’année devant le Parlement que, contrairement aux promesses gouvernementales, la police pouvait avoir accès aux données recueillies par l’application, du moins dans le cadre d’enquêtes judiciaires).
Pour les étrangers, se rendre dans le pays implique en outre de subir quatorze jours d’isolement (soit dans sa résidence de destination, soit dans un hôtel), avec bracelet électronique et possibilité de passer par la case prison en cas de violation de ces mesures (un Britannique de cinquante-deux ans a récemment été condamné à deux semaines de prison et environ six cents vingt-cinq euros d’amende, mais dans le code pénal, les peines montent jusqu’à dix mille dollars de Singapour — environ six mille deux cent cinquante euros — et six ans d’enfermement).
Mais ça c’était avant. Avant le nouveau monde.
Connect@Changi n’est pas vraiment un hôtel, pas tout à fait non plus un centre de conférence, ni complètement un immeuble de bureaux, mais un peu les trois à la fois : le lieu se présente comme le « First Safe Business Travel exchange », ce que l’on pourrait traduire par « le premier échangeur dédié aux voyages d’affaires sûrs ». Une bulle sanitaire qui s’élève, après trois mois et demi de travaux, au cœur du Singapore Expo, le gigantesque centre d’expositions et de conventions de cent vingt mille mètres carrés à proximité de l’aéroport.
Le PowerPoint sans pitié pour le virus
Concrètement, si vous restez à Connect@Changi (Changi est le nom du majestueux aéroport de la ville), vous serez toujours isolé ou isolée du reste du monde (il est interdit d’en sortir pendant deux semaines), mais vous pourrez malgré tout voir des gens, échanger avec vos semblables (toutes et tous masqués) dans une cour intérieure végétalisée (sous les poutres métal et béton du Singapore Expo) et même, ou plutôt surtout, vous livrer à votre passion pour les réunions de travail, ce qui est la première vocation du site fier de ses quarante salles de discussion, à l’abri de la maladie grâce à une vitre étanche à l’air et à un système d’aération personnalisé, par personne ou par groupes.
Il vous faudra également subir quelques petits tests PCR à base d’écouvillons dans le nez. Un premier soixante-douze heures avant votre décollage, un deuxième dès votre arrivée à l’aéroport, après lequel vous devrez vous confiner dans votre chambre six à douze heures en attendant le résultat (lequel, une fois arrivé, soit vous ouvrira les portes des salles de conférence et de gym, désinfectées après chaque passage, soit vous assurera un transfert immédiat au centre médical le plus proche), et quelques autres encore les troisième, septième et quatorzième jour de votre villégiature.
« Nous voilà prêts à offrir aux voyageurs d’affaires la possibilité de reprendre les réunions en personne d’une manière sûre et confinée, et à jouer notre rôle de catalyseur dans la reprise économique de Singapour et de la région ».
Robin Hu, gestionnaire du fonds souverain Temasek et vice-président de SingEx Holdings
Pour réserver l’une des cent cinquante chambres (un total de six cents, et cent soixante-dix salles de réunion, doivent ouvrir d’ici le mois de mai), il faut d’abord postuler ici. Il vous en coûtera dans les trois cents dollars par jour, repas (à prendre en chambre) et tests PCR compris.
Des mouchoirs en papier, pour pleurer sur le vingt-et-unième siècle bien des larmes de votre corps, sont également disponibles à la réception.