Allez, rapidement, une question, comme ça : qu’y a-t-il dans la vie de plus excitant qu’un taux de croissance à deux chiffres ?
Réponse : une tour, bien sûr ! Une belle tour, grande, forte et solide, faite de verre et d’acier, et qui s’élance vers le ciel. Bonus si c’est une tour de bureaux. Mot compte double si elle vient du magazine économique Forbes, connu pour son classement annuel des plus grandes fortunes du monde. Banco, double-banco et dix de der si, en plus, elle s’érigera dans une capitale cyclopéenne, construite à partir de rien au beau milieu du désert égyptien.
Bienvenue dans la première tour Forbes au monde, le paradis du businessman. Faites comme chez vous. Le coupe-cigare est juste là.
La tour Forbes, premier building d’affaires au nom du magazine
Donc vous l’avez compris : le magazine américain, fondé en 1917 à New York par Bertie Charles Forbes, chroniqueur économique pour les titres William Randolph Hearst, l’homme qui a inspiré Citizen Kane, vient d’annoncer la construction de la première tour à son nom : 55 étages de bureaux et 3 de boutiques. Maître d’œuvre : le cabinet d’architecture Adrian Smith + Gordon Gill, déjà signataire de l’hôtel Atlantic à Dubaï, du centre d’architecture de Chicago, de la tour Hilala à Ryad, ou de la future Jianbgei Forest Tower, en Chine.
Le faire-part de naissance du building, qui prévoit soulignons-le, d’afficher une neutralité carbone à 100 %, a été présenté au Forum Économique Mondial, à Davos. Outre Forbes, cette tour du futur voit également se pencher sur son berceau Magnom Properties, un spécialiste du bâtiment britannique détenu par le groupe saoudien Rawabi Holding.
« Un pilier essentiel du plan Vision 2030 de l’Égypte est le développement urbain, et le lancement de la Forbes International Tower, qui répondra aux exigences de la certification LEED Platine, reflète cette ambition, qui établit de nouveaux standards de soutenabilité » a déclaré, dans le communiqué de presse maison, le Président de la holding Rawabi et de Magnom Properties, Ali Abdulaziz Alturki —lequel se décrit en toute simplicité, sur sa page LinkedIn, comme « ayant créé des business stratégiques couronnés de succès dans les secteurs du pétrole et du gaz, de l’ingénierie et la construction, des télécommunications et services financiers« .
(Il faut dire que, toujours selon sa page LinkedIn, titulaire d’un diplôme d’ingénieur à Boston, il est également « le fondateur du Energy Capital Group (ECG), le Président de Chemanol, le Président d’Immensa, membre du conseil d’administration de NATPET, après avoir été vice-président et membre de l’organisation des Jeunes PDG, membre Fondateur du Conseil de Jeunesse d’Asharqia, membre fondateur de l’Association des Orphelins d’Asharqia et membre fondateur de la Cogito Scholarship Foundation de Londres »).
Un jeune actif, un vrai.
Mais ce n’est pas du tout de ça dont on voulait vous parler.
L’Égypte se construit une nouvelle capitale
Car la tour Forbes ne va pas s’élever à New York, Londres, Ryad, Singapour ou Hong Kong. Mais en Égypte, dans une ville qui n’existe pas encore.
Car oui, vous ne rêvez pas : le pays est bel et bien en train de se construire une nouvelle capitale au beau milieu du désert.
En effet, Le Caire a grandi trop rapidement et, surtout, trop anarchiquement. À tel point qu’il semble plus simple aujourd’hui, plutôt que l’adapter aux besoins et exigences toujours croissantes de l’administration, de bâtir une cité entière, simplement baptisée, pour l’instant, « Nouvelle Capitale Administrative. »
Nous n’écrirons pas que le chantier est pharaonique, puisque le terme a déjà été utilisé par l’intégralité des confrères et consœurs couvrant le projet. Mais il est bel et bien colossal : située à environ 45 kilomètres du Caire, à mi-chemin entre la ville millénaire et le très stratégique canal de Suez, souvent surnommée « Sissi-City » (ou, en arabe « Madinat Sissi », en référence au président de la république actuelle, le maréchal Al-Sissi), la future capitale égyptienne s’étendra sur 17 000 hectares et accueillera 25 000 logements. Elle comprendra un stade, une cathédrale (la plus grande église du Moyen-Orient), la plus grande mosquée du pays, le parlement, 700 écoles et un aéroport. Coût total : plus de quarante milliards d’euros
Largement financés, et opérés, par la Chine, les travaux ont commencé en 2016. Certes, les soupçons de corruption (on se demande pourquoi), voire de financement secret par les Émirats Arabes Unis contre des compensations mystérieuses (Rhô !) font craindre aux observateurs que la future capitale n’ait pas exactement toute la splendeur architecturale et paysagère que dépeignent les panneaux publicitaires.
Espérons que ces craintes, certainement infondées, ne mettent en péril ni l’achèvement des travaux ni la réussite de l’inauguration : au final, il pourrait s’agir d’une ville intégralement peuplée de fidèles de la dictature militaire, d’hommes d’affaires et de soldats en arme. Les mauvaises langues, décidément, n’aiment pas le progrès.