[Tribune] : La ZAD ? Un laboratoire pour demain qui n’a pas de prix

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Copyleft Xavier Faltot / Postap Mag

Alors on l’a laissé partir. Il nous en a ramené ce reportage d’un genre inédit, car réalisé “avec femme et enfant” et engagé —clairement. On vous en prévient. Ce reportage est aussi une tribune. Et un témoignage. Transmettre des informations, n’est-ce pas aussi transcrire des émotions ?

Safari en utopie concrète

Le 1er avril 2017, l’an dernier, je me suis rendu avec femme et enfant à la ZAD de notre Dame des Landes. Mon fils a 1 an et demi et il court partout. Nous sommes invités par Isabelle Frémeaux et John Jordan à l’occasion du vernissage du phare qu’une centaine de personnes ont construit ici. Il se tient à 10 mètres de l’endroit où devait être construite la tour de contrôle de feu l’aéroport.

Je connais le couple depuis longtemps. Leur parcours dans l’activisme est immense. Super-communicants, hackers du réel, poètes, ils sont une énorme source d’inspiration pour moi et pour beaucoup. Ils vivent ici depuis 2 ans. Avec eux, j’entrevois et me projette dans un monde contemporain aimant, intelligent, anarchiste, sans pétrole, sans argent roi, plein d’humour et d’art.

zad phare nuit
Copyleft Xavier Faltot / Postap Magazine

 

Artistes et activistes, leur plan comme toujours est “d’ouvrir”, d’inspirer, de fabriquer des scénarii dans lesquels il fait bon se laisser happer, pour imaginer et faire mieux. Ils sont capables de magie, d’utopie, de récits nouveaux et inspirants. Je vous recommande en passant la lecture et le visionnage de leur livre-docu Les sentiers de l’Utopie. Ils savent depuis longtemps que dire “non” ne suffit plus. Ici et maintenant, ils, avec d’autres, rendent visible la ZAD. Elle devient lisible, attirante, sexy !

Première idée forte : proposer un point d’accueil aux nouveaux arrivants. Un hub de dispatch nécessaire dans ce labyrinthe qu’est le bocage. Il est difficile de tomber par chance au bon endroit quand vous débarquez, surtout en pleine nuit. La zone est vaste, il y a beaucoup d’entités différentes, de projets, de luttes. Il y a des fous, des hyper-radicaux, des paumé-e-s, mais aussi, principalement, beaucoup qui font, fabriquent, pensent le quotidien à la campagne au XXI° siècle. Nourris de leur expérience urbaine, ils recomposent avec la nature. Composent et combinent. Leur centre, à côté du phare, est donc le premier endroit où se rendre pour découvrir et entrer de plain pied dans la ZAD, l’endroit où montrer patte blanche avant d’entrer dans le plus grand espace autogéré que j’ai jamais vu. Prenez le train jusqu’à Saint-Étienne-de-Montluc ou le bus depuis Nantes, jusqu’au Paquelais. Mais attention, pas de touristes ici. Si vous venez, c’est pour faire quelque chose, concrètement.

Sur le chemin de la Rolandière, en voiture, accompagné par une jeune femme, je reconnais les images des journaux télévisés. Il y a de quoi faire des barrages sur les côtés de la route. Une voiture déglinguée, des pneus, des palettes… Nous y sommes. Nous sommes à la ZAD, “les dingues !”. Frissons. Un pied hors de l’auto face au phare, nous découvrons John en pleine répétition du spectacle de demain soir. Arnarchés à 13 mètres, les comédiens jouent à couler ou à gravir. John chef d’orchestre, co-auteur de la pièce, dirige. Franco-belge, il donne de la voix en français, en franglais et en anglais. Derrière la console son et lumière, je rencontre Camille qui m’explique le déroulement de la journée et de la soirée de demain.

Midi, rendez-vous devant la préfecture de Nantes pour le début de la course-relais en groupes pour apporter la flamme ici. 27 kilomètres de course.
Dès 14h, sur place, chaîne de livre vers la nouvelle bibliothèque, lectures et arrivée à pied de la flamme.
À 19h30, bar, buffet, blague-battle et chants marins.
À 21h30, ce sera l’embrasement du phare suivi d’une Boum.

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Copyleft Xavier Faltot / Postap Mag

 
Il me parle aussi de ce groupe féministe-ultra, qui dans les pages du ZAD news, s’est braqué car le phare serait “trop phallique”, machiste donc ! “Faux débat !”, me lance-t-il. “De toute façon, on a toujours dit, “C’est celui qui fait qui a raison”… Et pis elles n’ont rien interdit, elles ont juste dit qu’elles n’étaient pas d’accord. T’es qui pour interdire ? ! Et essaie de t’assoir sur un truc aussi tranchant et plein d’angles, même petit, on est loin d’une bite là quand même !”. Je reprends une bouffée de “ZAweeD”, la beuh locale. La zone est composée d’une multitude de groupes qui ne s’entendent pas forcément. Il y a de nombreux points de discorde, l’ouverture de la D281, le nucléaire, les médias, l’écologie radicale… Mais le pari est la démocratie, alors tout le monde s’exprime sur tout.

Libres, autogérés, autonomes et autodéterminés, ils sont toutefois d’accord sur une chose : ils ne veulent pas de cet aéroport et surtout du monde qui va avec. Tous et toutes essaient quelque chose entre les lignes, de post-capitaliste, post-fossile, post-industriel, post-genre, post-finance, post-politique, post-apocalyptique. Le laboratoire est énorme. Flash. Je me demande si Camille ne serait pas un des ces noms androgynes, un pseudo pour journaliste grand public. L’herbe locale cultivée sans pesticide continue à faire son travail sur moi. Pas parano, je me sens éveillé. Je promène mes yeux grands ouverts.

Derrière son épaule, une banderole où en vert et rose est inscrit “Nous sommes la nature qui se défend”. Je reconnais le slogan vu lors la COP21 à Paris. Je suis bien, je me sens à ma place. Nous rigolons et trinquons “au phare !” avec nos bières, locales elles aussi. Toujours en mouvement, John fait un break et demande aux comédiens en mode escalade de descendre pour faire un point. L’ambiance est électrique. Camille coupe son et lumière. John propose un ravitaillement en chocolat. Tout le monde est fatigué mais veut être fin prêt demain. Ils valident en cœur par des cris enthousiastes.

zad construction métal
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Humain avant tout

La Rolandière est composé d’une bâtisse centrale, avec entrée-séjour-salle à manger équipée d’un poêle à bois. Cuisine, atelier, garde manger et 3 chambres pour les invités. Autour sont disposées des caravanes et une cabane dans un arbre où dorment les habitants. Il y a aussi une grange, un grand jardin et le phare… dressé. Notre chambre se trouve sous l’escalier qui mène à l’étage supérieur. J’ai l’impression d’avoir 12 ans, fragile et curieux, impatient d’être demain.

Le confort est rudimentaire, mais déjà la liberté qui règne ici nous fait plonger dans les rêves les plus inspirants et rassurants quand à notre avenir, celui de l’enfant surtout. Je plonge dans un sommeil profond bien au chaud dans les bras de ma bien-aimée. Je rêve ZAD PARTOUT en mode science fiction, une voix grave érotico-sécurisante sur fond de musique de méditation “Bienvenue à la ZAD, un monde entièrement alimenté par des énergies réellement renouvelables et justes, un univers autonome alimentairement. Il n’y pas de dépense militaire, pas de finance, pas de stress extra-terrestre. Vous faites ce que vous désirez. Simplement, vous commencez à devenir courageux et productif. Votre nouvelle vie commence face à cette horizontalité verte. ZAD vous commencez à écrire sur votre nouvelle page blanche. Un mot clignote : Pérenne.”

ZAD cabane dans les arbres
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Au petit matin, réveillé par la faim hurlante de notre progéniture, nous sortons de notre “cabane” sous escalier. Le temps est humide mais le ciel est bleu, il fait très beau. Un feu brûle dans le poêle à bois. La journée peut commencer. Biberon, chaussettes, chaussures et nous voilà en train de suivre les indications de notre guide, résident depuis quelques temps. “Allez tout droit, vous passez sous la clôture, y a une faille, à gauche du champ au niveau du grand arbre là-bas, une fois dans la forêt vous allez tout droit.” Il nous laisse une carte : la clef des champs. La nature est en plein éveil, c’est le printemps. Vert et bleu et brun dense, derrière les barbelés, le bois craque maintenant sous nos pas étouffés par de la mousse moite. À mesure de notre progression, nous croisons quelques constructions, des cabanes, des palissades, une balançoire, des bancs, cela sent la vie “post-crash”.

Devant moi soudain, un gros panneau : “Journalistes Dehors”. Avec mon gros appareil photo, j’ai l’impression d’être un collabo mais au fond de moi, ne l’étant pas, je le vis bien. Je le passe sous mon bras. Je suis un média libre et un père de famille inquiet de l’avenir que nous proposent les dirigeants du monde contemporain. Je voulais voir et vivre ces terres expérimentales, ce squat grandeur nature, prendre des photos et du son pour ne jamais oublier qu’elles existent, et re-transmettre. Nous avançons et atteignons une route goudronnée. À gauche, sur le bas côté, un bus. Celui de la radio pirate locale : RADIO KLAXON 107.7 Fm. Visiblement, il n’y a personne à l’intérieur.

zad nous sommes la nature qui se défend
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Nous continuons notre découverte des lieux. Nous bifurquons sur le chemin qui mène à la “Wardine”, un lieu de rassemblement, une grange et ses dépendances. C’est très grand. Les bâtiments sont partagés, les habitants eux vivent dans leur construction : cabanes, caravanes et autres trouvailles. Il y a des règles inscrites en petit sur un grand écriteau : “Aucun comportement autoritaire, raciste, sexiste, homophobe, validiste (liste non-exhaustive) ne sera toléré !!” ; “Les chats font partie du collectif, ils-elles n’acceptent pas la présence des chiens, désolé” ; “La Wardine est aussi le lieu des enfants, gère toi et tes consommations…”, entre autres… N’est-ce pas autoritaire ? Paradoxal ? Peut-être simplement une blague pour touristes ?.

Dans le même endroit, derrière la grande grange, il y a la SMALA, le bâtiment des enfants, une sorte de crèche tout ce qu’il y a de plus séduisant en tant que jeune parent. Des livres, des jeux, des canapés, des tables basses, un nécessaire de cuisine, c’est un espace chaleureux, propre. Nous passons la porte de derrière et nous voici dans un petit parc avec 2 tobbogans et un trampoline, l’herbe au sol est entretenue. Nous repassons de l’autre côté et l’enfant se glisse dans une mini-yourte. Aux anges, il rigole, il est comme un poisson en eaux libres, il joue à l’explorateur, au saumon.

Derrière nous, sous le préau se pressent déjà plusieurs équipes. Ils épluchent, et préparent choucroute, algues, pommes de terre, houmous à l’ail et betteraves râpées, tout est végétarien. Cela sera notre banquet ce soir. Tout est fourni par les primeurs voisins, qui revendent à bas prix leur surplus.

zad radio klaxon
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Les Bâtons de la révolte

Nous faisons demi-tour et reprenons la grand’route qui nous amène à croiser de magnifiques vaches, 2 veaux et un cochon dormant paisiblement au soleil dans sa boue desséchée. Nous sommes en week-end en famille à la campagne, l’air est frais, sain. Nous croisons aussi des paysans souriants, des locaux au travail devant et dans leur ferme. Nous continuons sur le virage des “bâtons de la révolte” plantés ici l’an dernier par les ZADistes et leurs amis, solidaires venus de partout. C’est un lieu de pèlerinage. Une place forte. C’était le 8 octobre 2016, juste après les résultats de la consultation locale qui approuvait la construction de l’aéroport. Plusieurs milliers de personnes sont venues ici avec leur bâton pour exprimer leur détermination, leur opposition à un nouveau tarmac. Ils l’ont planté là, dans le virage. À tout moment ils peuvent revenir, pour le reprendre et lutter. À chaque fois que la zone est menacée, ce sont des dizaines de milliers de personnes qui participent à des actions de résistance créative.

Nous pénétrons dans le jardin destroy d’une maisonnette qui ressemble à un décors de film d’horreur. Poupées mutilées qui flottent au bout de plusieurs branches. Les indiens faisaient des trucs comme ça non ?
Nous avançons maintenant sur une terre détrempée, rejoints en plein champ par des Anglais. Nous marchons ensemble et échangeons sur la joie d’être ici. Sur la surprise, la force, l’hostilité qui y règne aussi. Hostilité face aux médias. Je suis “Ami-média”. Mais ceci n’est pas écrit sur mon front, alors il y a méfiance. Eux sont là pour tourner quelques jours, ils réalisent un film ou quelque chose dans le genre. Nos échanges nous amènent à penser que cette liberté de mouvement et de penser est rare. “It is so good”, lâche l’un d’eux. L’effet campagne y est pour beaucoup mais pas que. Retour par la forêt. Branches, mousse, clôture, champ, phare en vue : nous sommes revenus au point de départ.

zad poupée suspendue
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Territoire expérimental de la République

Il est midi et cela sent bon. Dans la maison, une dizaine de personnes se sont installées autour de la grande table. Mélange de légumes de saisons au four, un délice savouré en silence, un temps, par tous et toutes, puis les conversations reprennent, il y a beaucoup de chose à faire encore aujourd’hui. Café sur la terrasse de la bâtisse entre ZADiste, ami-e-s et ami-média de passage… Progressivement, nous nous laissons prendre par le rythme de chantier imposé ici. “Sois-en certain, on est pas là pour lire ou rien faire, si tu viens ici c’est pour aider le projet…” m’assène un ami de John dans la cuisine. Ceux qui font ont raison, alors faisons. Jouons le jeu.

zad veaux
Copyleft Xavier Faltot / Postap Mag

 
C’est l’heure de la sieste pour le petit, il a du mal à dormir, visiblement très stimulé par l’univers qui lui fait face. Il sombre dans les bras de maman, au lit. J’en profite, j’enregistre des sons, je prends des photos et des notes, je fais le tour. Le transfert de l’ancienne vers la nouvelle bibliothèque est en cours : “TRANSLU” vers “LE TASLU”. Une chaîne humaine déplace les livres, les gens sont venus de toute la France pour l’occasion.

“Je viens souvent, dès que je peux aider, j’aime venir ici, ça fait du bien d’être avec des gens biens et heureux. En plus, je me sens utile”, me confie une participante venue de Nantes. Ils lisent à haute voix, chantent des chants Zadistes, rigolent, c’est bon-enfant, culturel et très humain. Il y a tellement de monde que l’espace entre eux est presque nul. Une bonne centaine de personnes pour parcourir 250 mètres. Au coude à coude, je suis porté, transporté et suivant les livres, me retrouve dans “LE TASLU”, le nouveau café-bibliothèque-point-info-acceuil, une charmante masure entièrement retapée. Il est beau et de bois vêtu. A une odeur de pin fraichement coupé. Je remarque le travail de l’escalier, tout en bois sculpté, sur ma droite.

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Copyleft Xavier Faltot / Postap Mag

 
Au rez-de-chaussée, une salle d’accueil et au mur, face à moi un plan de la ZAD surplombé d’un “ZAD PARTOUT”. C’est la carte de la ZAD, à la craie. Toutes les tribus y sont répertoriées, les lieux dits, le bocage. Tout le monde y est. L’écosystème est dense. Je comprends mieux qu’il puisse y avoir des tensions, il y a beaucoup de points de vus manifestes et tranchés, ici et là, maintenant. Plus de 200 personnes vivent dans 60 lieux de vie. Avec ses boulangeries, sa radio pirate, son atelier de réparation de tracteurs, sa brasserie, son auberge, son jardin médicinal, son studio de rap, ses potagers, son journal hebdomadaire, sa meunerie, ses toilettes sèches, sa bibliothèque et son phare surréaliste, la ZAD est devenue une zone d’expérimentation concrète dans la reprise en main de sa vie. C’est un village créatif, horizontal où l’intelligence est collective.

Ici, je peux m’informer sur l’histoire de la lutte. Obtenir des informations sur les différents collectifs de la zone, rentrer dans le game, participer à une formation sur la résistance créative, trouver des chantiers collectifs, proposer un co-voiturage ou tout simplement discuter autour d’un thé. C’est très cool. Je me dis : “Finalement, il est là, le village dont tout le monde parle, la vie internationale, urbaine mais à la ferme”.

Je gravis les marches de l’escalier qui mènent à la bibliothèque flambant neuve où les livres commencent à trouver leur place dans les rayonnages thématiques. Poésie du XIX° siècle, Critique du monde industriel, La guerre et le terrorisme, Ville architecture et aménagement… J’enjambe la fenêtre qui donne sur l’extérieur et me retrouve sur la traverse. Je marche et monte au premier étage. Les escaliers de bois en spirale portent mes pas.

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“Les Bâtons de la révolte”, Copyleft Xavier Faltot / Postap Mag

 
Progressivement, je prends de la hauteur sur le bocage, “la prison verte”, comme disait Camille hier soir. J’ai d’ailleurs eu depuis la confirmation que Camille était bien un pseudo pour journaliste grand public. J’ouvre grand les yeux. C’est beau, comme ce phare tombé de nulle part. La légende dit que cette création est le résultat de plusieurs miracles. Le premier étant qu’un agriculteur du coin avait dans son champ un ancien pylône EDF. Aussi, la passerelle a été trouvée par hasard et faisait exactement la bonne taille pour atterrir sur le phare sans retouche. Enfin, la sirène, chipée il y a quelques années dans une ancienne caserne de pompiers, loge parfaitement en haut de l’édifice et elle fonctionne. Tout est prêt, mais y a de l’orage dans l’air. Je me demande s’il y a un paratonnerre. Je respire tout en haut, comme un avion sans ailes. L’impression d’être à ma place me traverse encore. À nouveau, simplement, je me sens léger et heureux. Grave aussi, si proche du vide. Mais je ne suis pas seul. Suivi par d’autres qui comme moi veulent vivre l’expérience, je redescends à l’aise et constate que le phare peut accueillir beaucoup de monde. Un vrai souci pour, disons, une armée qui tenterait de les déloger.

En bas, en plein soleil, devant la maison, un jeune homme est en train d’en reprendre un autre sur sa manière de parler. Visiblement le second à tendance à jurer en utilisant des noms féminins. “Sa mère la pute ? Faut arrêter avec ça !” Je n’y avais jamais réfléchi. Je trouve ça incroyable, je me dis que c’est vraiment une perte de temps, qu’ils n’ont vraiment rien à faire et rapidement me rends compte à quel point il a raison. Je me le promets : “Plus jamais je ne jurerai comme ça, putain !”. Il dit : “Si tout le monde s’y met, finalement, les femmes seront comme délestées…” Pas si anodin, donc.

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Copyleft Xavier Faltot / Postap Mag

 
La sieste est finie, et déjà les coureurs qui arrivent de Nantes se pressent sur la petite route qui longe La Rolandière. Un grand feu sur le côté est prêt à s’embraser : “Notre Flamme des Landes brûle toujours” est inscrit sur une banderole au milieu de la route, derrière moi.

La flamme portée à bout de bras arrive sur le bois et la soirée peut commencer. Les gens acclament le cortège. L’enfant court partout et rencontre d’autres enfants, des locaux. Leurs yeux sont vifs, éclairés, je me dis qu’ils savent ou qu’ils ont l’air de savoir, qu’ils ont raison. Ils sont durs d’apparence et très touchant à la fois. Ils jouent vite ensemble. Ils naviguent sur un caddie transformé en bateau à trois mâts et d’un coup tous tombent. BAM !
En tant que parent, il faut être très attentif car il y a plein d’outils, de trous, de bouts de métal qui dépassent, d’objets lourds, contondants parfois en équilibre précaire. Il faut être attentif, le danger est partout mais comme toujours finalement. Attentif et disponible, en confiance aussi. Je suis fasciné par ces mômes, ils ont l’air tellement autonomes, courageux. Je souhaite que le nôtre devienne comme eux. Leurs parents ont l’air très détendus, l’œil vif aussi.

La nuit commence à tomber. Je me sens aligné, dans le bon flux. Pourquoi vivre et courir si ce n’est pour protéger ces valeurs, si présentes ici mais tellement loin du cœur des villes où la vie a été déplacée dans des centres commerciaux, où les hommes sont devenus des machines au service des machines qui forcément détestent l’eau, la terre et encore moins le sable ou la bouse de vache. “Tiens, il se met à pleuvoir…”. Sous une bâche j’écoute les gouttes devenir métronome. Compte à rebours… et si tout ceci disparaissait ?

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Copyleft Xavier Faltot / Postap Mag

 

Bienvenue en terre libre

Dans la grange, en cercle, des comédiens interprètent leurs textes sur des capots de voiture et des bottes de foin. Il est question d’écologie, de philosophie, d’humour aussi. “Quel monde voulons nous ?” Derrière, la nourriture est prête à être vendue à prix libre et le bar tourne déjà à un bon rythme : 1 € le verre de vin, bière à 1,50 € et jus de fruit à cinquante centimes.

zad phare crépuscule
Copyleft Xavier Faltot / Postap Mag

La pluie cesse et les nuages s’écartent. Entre ombre et lumière, le coucher de soleil est à couper le souffle. La pièce de théâtre à la verticale va pouvoir commencer. Comédiens, son et lumière se retrouvent et le phare commence à prendre vie. Il y a un grand drap noir, des ombres chinoises. Il est question d’une lutte de pouvoir. Entre le haut et le bas. Le haut qui tente de conserver le pouvoir puis l’équipe du bas qui monte inexorablement. Le grand final célèbre la victoire du bas sur le haut. Des êtres empathiques flottant sur des cyniques maladroits. C’est l’étincelle, la sirène retentit et un feu d’artifice, les gens exultent, je crie. La métaphore nous portera toute la nuit, tout le monde est là pour célébrer. J’ai comme l’impression d’être à la fin d’un épisode d’Astérix et Obélix. Tout n’est pas rose, mais quel voyage. Sacré Panoramix.

Je ne sais pas si mon fils en gardera un souvenir clair, mais me concernant, c’est certain. Allez à la ZAD. Il ne faut pas particulièrement de courage, simplement de l’envie. L’envie de sortir complètement du centre commercial global. Disparaître dans le faire, retrouver la nature, revoir sa vie, écouter ses désirs, les autres, l’essentiel. Mon souhait aujourd’hui est que ce hangar de l’innovation sociale, écologique et économique ait l’opportunité de continuer son travail d’expérimentation et d’inspirer le monde, qu’il soit considéré comme un fleuron de la nation, une voie à suivre et dont il faut prendre soin.

Homme de radio, Xavier Faltot et journaliste. Créateur de lachambreaair.fm et co-fondateur de Radio Marais, il est présent aussi sur la radio en ligne Boxsons.