Cela faisait plusieurs semaines que la rumeur courait : un second bunker aurait émergé pendant la nuit, à quelques kilomètres à peine de chez nous (trois jours de marche dans le monde qui vient mais, à notre époque, à peine un saut de transport en commun ou un sprint à vélo).
On a observé de loin, entendu parfois des bruits de chantier, et puis on y est allé.
Voici ce que nous avons vu.
Dans les anciens locaux d’un hebdomadaire conservateur, rue du Maine (petite pensée pour Stephen King) à Paris, s’agitait toute une bande de garçons et de filles de multiples âges et couleurs. L’une tâchait de joindre une banque par téléphone, l’autre un plombier, et pourtant tous deux gardaient le sourire. Un troisième déchargeait une palanquée de thym, d’origan, de basilic, de menthe poivrée, d’aneth, de sauge. Un piano, posé dans un coin, d’une marque inconnue de nos services, sonnait bien, sauf le do du milieu, muet. Les corps, les mains surtout, se déplaçaient vite, avec précision et détermination, calmes, assurées, rapides. Très rapides.
Quelques phrases surnageaient dans le calme d’une concentration intense. « Je vais te dire une bêtise, il vaut mieux demander à Gypsy » ; « Un site internet en trois jours, moi je veux bien, mais vous n’aurez pas toutes les fonctionnalités d’un coup, on les ajoutera petit à petit, d’accord ? » ; « Toutes les semaines on fera un point Tao, ne t’inquiète pas. » ; « Si on le fait on le fait bien, donc les hot-dogs végétariens c’est une très bonne idée, mais s’ils ne peuvent être prêts que demain, pour ce soir ce sera chips et cacahuètes ». Patrice matait des vidéos de Patrick Bouchitey, Lila prenait en charge la cantine et Afif s’occupait du bar, mais pas que.
Chez nous, la perplexité était totale. Cyprien, notre reporter DJ, avait un sourire mi-figue mi-raisin : côté raisin, il se trouvait en terrain connu, ayant participé à quelques organisations de fêtes au cours de sa carrière. Côté figue, il lui manquait un peu trop d’infos pour que son âme de journaliste se sente totalement à l’aise. Yann, l’editor at large ne pouvait pas rester, ayant rendez-vous avec Commander X pour une interview. Marjorie, la libraire et animatrice du podcast, s’assit dans un coin pour finir sa lecture des Nouveaux Contes de Canterbury. Julien, l’éditeur, tout juste sorti de trois jours moyennement rigolos de mise en conformité du site avec les nouvelles politiques de confidentialité européennes, s’adossa à un pilier, toujours aussi peu soucieux de retrouver de la poussière de plâtre sur sa veste de demi-saison. C’est là qu’il dit une bêtise.
« Vous faites quoi ? On peut vous aider ?
– On est en train de construire le Consulat.
– C’est quoi ?
– C’est le monde tel qu’on veut qu’il soit. Donc oui, si tu veux donner un coup de main, t’es le bienvenu. Tu sais faire quoi ?
– Ben nous, on sait surtout écrire, éditer, trouver des plumes et faire un média, quoi.
– Alors demande à Xavier, il est au premier étage. »
Cyprien et Julien haussèrent les sourcils simultanément. Leurs regards se croisèrent. Même Marjorie s’extrayait un instant de son livre, intriguée.
Notre gonzo reporter s’appelait aussi Xavier et c’est lui qui nous avait parlé en premier du projet et fourni les coordonnées GPS de l’endroit. Depuis, nous étions sans nouvelles. Se pourrait-il que… ?
Il n’y avait qu’un moyen de savoir. En file indienne, les trois-quarts de la rédaction se mit en route, marche après marche sur l’escalier de fer et béton, vers le premier étage, à la découverte de la cellule multimédia.