« Le cerveau est la première des zones érogènes », nous apprit, à la fin du siècle dernier, le réalisateur Jackie Treehorn. Le podcast « Entre Nos Lèvres », trente-deux épisodes au compteur et un million trois cents mille écoutes cumulées, permet certes de se le rappeler, mais surtout de comprendre pourquoi et comment.
Parler de tout avec tout le monde
Sur la forme, ce podcast « qui parle de sexe comme on devrait en parler tous les jours, avec honnêteté et bienveillance » est une immense réussite. Des témoignages qui prennent le temps (un bon 45 minutes de moyenne, parfois une heure entière), des invitées et invités de tous horizons, sociaux comme culturels, des intervieweuses qui savent les mettre à l’aise et poser avec délicatesse toutes les questions que l’on n’oserait pas formuler, tous les tabous évoqués, racontés, discutés, abordés : c’est une mine d’or pour comprendre l’insoupçonnable diversité avec laquelle hommes, femmes et personnes ne se reconnaissant pas franchement dans ces cases, vivent leur sexualité. En ressort une bienfaisante sensation, celle d’une indépassable liberté, à disposition de chacune et chacun.
Sur le fond, c’est bien cela qui frappe le plus, d’ailleurs : aucune histoire intime ne se ressemble. Certaines sont heureuses, légères (quoique rarement sans accros ou difficultés) et d’autres, incroyablement difficiles, complexes, faites d’angoisses et d’effrois, parfois surmontés, parfois pas encore, parfois pas complètement, avec aussi leurs moments de joie et de lumière. Les récits démarrent aux tous premiers émois, passent par les étonnements de l’adolescence, s’engagent sur les chemins adultes ; les parcours sont toujours en construction, évoluent, s’affinent, se comprennent, au fil des partenaires et des passions.
Chaque épisode est titré d’un seul prénom, constitué d’un unique témoignage qui prendra le temps des rires, des interrogations et, si nécessaire, des silences. Un principe auquel s’est ajouté récemment, confinement oblige, le format plus court « Entre Nos Murs » et sa boîte vocale s’ouvrant sur des profils et questionnements plus timides, sans doute du fait de la distance.
Nous avons à notre tour fait parler les deux jeunes femmes à l’origine du projet.
À propos d’elles
PostAp Mag. Bonjour. Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Entre Nos Lèvres. D’abord, merci de nous accueillir ! Nous sommes Céline et Margaux, les créatrices du podcast « Entre nos lèvres », qui produit tous les 15 jours des portraits de femmes (surtout) et d’hommes (aussi) avec pour prisme l’intimité et la vie sexuelle au sens large, depuis l’enfance : le rapport au genre, les premières fois, et les différentes expériences du corps, de l’amour et du couple.
Les premiers épisodes ont été diffusés à l’été 2018, et depuis, nous essayons de passer de plus en plus de temps sur ce projet qui nous passionne et nous anime, afin de raconter un maximum d’histoires différentes autour de la sexualité (et plus généralement de la vie). En dehors de cela, Céline est Directrice Artistique, Margaux travaille dans l’édition.
PAM. Comment est née l’idée d’ »Entre Nos Lèvres » ?
E. N. L. Les premiers épisodes du podcast sont consacrés à nos deux portraits, car nous étions les premières à avoir envie et besoin d’un partage plus « vrai » autour de la sexualité. De récits qui soient loin du culte de la performance, des faux-semblants, mais plutôt qui nous mettent « à poil », si l’on veut, et permettent aussi de discuter des difficultés que l’on peut parfois rencontrer. C’était très important pour nous de se prêter à l’exercice, d’une part pour être nos propres cobayes, et d’autre part pour que futurs et futures invitées se sentent à l’aise et en confiance devant nous.
L’idée en elle-même nous est d’ailleurs venue d’une soirée entre amies où, pour la première fois, on a « parlé vrai », entre amies, autour de la sexualité et de nos propres expériences, où nous avons senti comme un réel écho. Sans trop le savoir, on venait de créer une sorte de « safe place », un cercle de parole sans honte et sans peur du jugement. Et ça nous a fait beaucoup de bien ! Par la suite, on s’est dit que ce genre de discussions à cœur ouvert étaient nécessaires, et nous avons eu l’idée de créer ce podcast pour aider à libérer la parole. C’est une ambiance que nous tâchons de reproduire à chaque enregistrement : nous commençons par inviter la personne qui va témoigner à dîner avec nous, chez nous, pour la ou le mettre à l’aise avant de débuter l’interview.
Sourire aux lèvres
PAM. Saviez-vous ce que vous alliez trouver, en termes de diversité de témoignages et de façons de vivre sa sexualité ?
E. N. L. Le podcast est nourri des mails de « candidature » que nous recevons de nos auditrices et auditeurs. Donc au départ, non, nous n’en avions pas la moindre idée ! Aujourd’hui nous recevons beaucoup de mails, auxquels ils est parfois difficile de répondre en temps et en heure, et toutes les histoires qui s’y dévoilent nous permettent de nous dire que nous avons encore beaucoup à raconter.
PAM. Qualifieriez-vous votre travail de militant ?
E. N. L. Notre but premier était de libérer la parole quant aux tabous que nous jugions nocifs et inutiles, et de faire du bien aux gens pour qu’ils avancent plus sereinement dans la vie. Ces intentions s’inscrivaient aussi dans nos croyances profondes, en tant que personnes, dans le féminisme, la bienveillance, l’écoute. Le succès du podcast, ainsi que la place que nous avons prise dans ce milieu et sur Internet, nous ont aussi encouragées à nous positionner parfois plus politiquement. Nous avons une voix et une plateforme aujourd’hui, et il nous semble important de l’utiliser également pour éduquer et faire parler celles et ceux que l’on entend moins.
PAM. Comment avez-vous trouvé votre premier témoin ? Comment l’avez-vous reçue, accueillie, mise à l’aise ?
E. N. L. En réalité on a d’abord testé notre concept sur nos proches. Nous n’avions pas encore reçu de mails au début, et il nous fallait commencer à enregistrer et tester. Nous sommes donc allées chercher dans notre cercle amical celles et ceux qui avaient des choses à raconter, dont les histoires pouvaient nous paraître intéressantes et pertinentes pour « Entre Nos Lèvres ». Ils et elles ont été des cobayes très chouettes et bienveillants d’ailleurs.
PAM. Il y a des témoignages proprement hallucinants… Vous avez dû vous sentir dépassée par moments, non ?
E. N. L. Dépassées, pour l’instant pas encore. En général, avant l’enregistrement, nous savons déjà de quoi il va s’agir, puisque le propos nous a été résumé dans un message, ce qui nous permet de nous préparer. Après, l’interview peut être très émouvante, très touchante, nous remuer et nous laisser des souvenirs durables, surtout lorsqu’il s’agit de récits comprenant des violences. Mais notre rôle, dans ces moments-là, est plutôt d’accompagner la personne dans son récit pour obtenir par la suite un récit qui lui rende parfaitement hommage.
PAM. Vous êtes d’excellentes intervieweuses… Vous laissez le temps, vous savez dissiper les gênes, vous posez de bonnes questions. C’est quoi votre secret ?
E. N. L. Oh bah merci ! Ça nous fait très plaisir, sachant qu’aucune de nous deux n’a de formation de journaliste. On imagine que le secret, c’est de faire oublier l’interview, le micro, l’enregistrement. De mettre les gens à l’aise, de leur rappeler qu’elles ont le final-cut sur tout ce qu’elles nous diront, afin qu’ils et elles se sentent libres et en confiance.
PAM. Un mot, un conseil, pour les lecteurs et lectrices de PostAp ?
E. N. L. Si vous avez dans l’envie de créer un podcast, surtout, choisissez un sujet qui vous passionne et sur lequel vous ne craignez pas de passer des heures, car littéralement, produire un podcast va vous prendre tout votre temps libre !