L’ancien ministre de la Défense mexicain arrêté pour trafic de stupéfiants

Le général Salvador Cienfueguos a été interpellé à l'aéroport de Los Angeles par l'agence américaine de lutte anti-drogue.

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Salvador Cienfueguos (à gauche) en compagnie de l'ancien Président mexicain Enrique Peña Nieto, lors d'une parade militaire (CC Présidence MExicaine / Wikimedia Commons).

Quoi de plus gênant, pour un pays, qu’un ancien Président de la République mis en examen pour association de malfaiteurs ?

Pas grand chose si ce n’est, peut-être, un ex-ministre de la Défense arrêté, à l’étranger, pour trafic de drogue et blanchiment d’argent. C’est ce qui est arrivé, ce 15 octobre, au général Salvador Cienfueguos Zepeda, qui servit dans le gouvernement mexicain d’Enrique Peña Nieto six ans durant.

Ministre et trafiquant

Quand il prend son service en 2012, cela fait déjà six ans que le Mexique s’est officiellement lancé dans une guerre contre le trafic de drogue qui dépasse déjà les cent mille morts. Le terme de “guerre” vient du fait que c’est bel et bien l’armée, et non plus la police, qui opère en première ligne pour lutter contre les trafics.

Ce qui rend d’autant plus embarrassantes les accusations de complicité portées contre l’ancien ministre de la Défense, qui à ce titre dirigeait l’ensemble de l’opération.

Ministre défense Mexique Arrestation
Salvador Cienfueguos Zepeda. (CC Présidence mexicaine / Wikimedia Commons).

Le général à la retraite a été interpellé par la brigade anti-stupéfiants américaine, la célèbre Drugs Enforcement Administration, ou DEA, dans le cadre d’une inculpation remontant à l’an dernier. Dans le dossier d’accusation que l’on peut consulter ici et où l’on rappelle que Cienfueguos est surnommé “El Padrino”, soit “Le Parrain”, le Grand Jury écrit :

“L’accusé, a, avec d’autres, conspiré en toute conscience et intentionnalité dans le but de produire et distribuer une ou plusieurs substances interdites, en ayant pour projet, en sachant et en disposant de toutes les raisons logiques de penser qu’elles seraient importées aux États-Unis depuis l’extérieur.”

Au final, il lui est reproché de s’être littéralement mis au service du cartel H2, l’une des émanations de la gigantesque organisation fondée par les frères Beltrán Leyva.

Cartel Beltran Leva Frères
Les 4 frères Beltrán Leyva, à l’origine du cartel du même nom. DR La Silla Rota

Le dossier cite “des milliers de messages BlackBerry interceptés” qui démontreraient que Cienfueguos a préservé le cartel de raids militaires, sécurisé les zones maritimes par lesquelles transitaient les drogues (héroïne, cocaïne, méthamphétamine et marijuana), averti le groupe mafieux quand débutaient des enquêtes américaines, et servi d’intermédiaire entre les barons de la drogue et d’autres officiels corrompus.

Guerre sans fin

Dans une tribune publiée par le Business Insider, la fondation InSight Crime, spécialisée dans le crime organisé en Amérique Latine et aux Caraïbes, en profite pour rappeler ironiquement que l’État mexicain est censé être le collaborateur des États-Unis dans le combat anti-drogue. Pour elle, “Il devient clair que les services de sécurité états-uniens, tout comme le gouvernement, travaillent avec des partenaires qui sont profondément impliqués dans les trafics”. De plus, selon elle, “l’arrestation de Cienfueguos met à mal toute notion de “guerre”, selon laquelle l’État serait d’un côté, et les organisations criminelles de l’autre. En réalité, ces acteurs sont interconnectés. Ils maintiennent l’ordre et créent la violence d’une façon qui s’avère mutuellement bénéfique.”

Les soupçons concernant Cienfueguos remontent en effet à loin, et aux affaires les plus louches et les plus sales impliquant l’armée au cours de cette guerre absurde et désespérée, comme la disparition des 43 étudiants de l’école normale Ayotzinapa ou le meurtre de 22 civils par l’armée lors du massacre de Tlatlaya.

Les conséquences tragiques de la guerre mexicaine contre la drogue, et son inefficacité, ont conduit le nouveau président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, à envisager une autre approche, guidée par les politiques sociales plus que la répression, sans mettre pour autant fin officiellement au conflit lui-même ni bien sûr à la lutte contre les mafias, qui reste du ressort militaire.

Un an et demi après son élection, les chiffres de l’insécurité restent terriblement élevés (28 meurtres pour 100 000 habitants en moyenne nationale, jusqu’à plus de 50 dans certains états come le Guerrero), et l’émergence récente d’une vidéo de propagande du cartel de Jalisco Nouvelle Génération (CJNG), dans laquelle le groupe expose pour un bon million de dollars d’armes et véhicules militarisés, a quelque peu mis sous pression son gouvernement.

Quelques jours plus tôt, le 26 juin, le véhicule du secrétaire à la sécurité de Mexico, était la cible d’une attaque particulièrement spectaculaire signée du même CJNG, impliquant armes automatiques, véhicules blindés, cocktails Molotov ainsi qu’un lance-grenades, tuant deux membres de son escorte et une passante.

La guerre mexicaine contre la drogue, qui a fait plus de 200 000 morts (et, selon une récente estimation, 60 000 disparus), a sur la démocratie mexicaine, la vie de ses habitants et la sécurité de ses citoyens des conséquences tragiques. Irréparables ?