« C’est bien sympa d’être Taliban, mais il faudrait voir à ne pas perdre le nord. » Peu ou prou, c’est ce qui a dû passer par la tête du mollah Abdul Ghani Baradar lorsqu’il s’est rendu au Turkménistan début février.
Il y menait une délégation de coreligionnaires extrémistes pour une rencontre au sommet avec le ministre des Affaires Étrangères de la république (à parti unique) d’Asie Centrale. Enjeu des discussions : le TAPI, un gazoduc géant (1 800 kilomètres de long pour un coût estimé à 10 milliards de dollars), censé permettre aux pays voisins du Turkménistan de profiter d’une partie de ses immenses ressources gazières (TAPI signifie « Turkménistan, Afghanistan, Pakistan, Inde », les quatre pays qu’il doit à terme desservir). Ce dernier peine à achever sa construction.
Initialement prévue fin 2019, la mise en service du TAPI se fait désirer… Justement en raison des sabotages réguliers opérés par les Talibans et autres seigneurs de guerre plus ou moins identifiés, mais aussi de l’instabilité générale du pays. C’est pourquoi, même si le mouvement islamiste n’est toujours pas reconnu comme le gouvernement officiel du pays, c’est bien de son engagement en faveur du TAPI que dépend la réussite ou l’échec du projet, en ces heures instables bien parties pour durer.
La déclaration publique talibane à l’issue de la rencontre a donc dû rassurer le gouvernement turkmène. Le chef militaire, qui a par le passé combattu les Soviétiques, puis les Américains, avant d’être fait prisonnier par les forces spéciales pakistanaises en 2010 pour être finalement libéré à la demande des États-Unis en 2018 afin de permettre des pourparlers de paix officiels, s’est officiellement engagé à soutenir le TAPI : « Il ne fait pas de doute que la mise en œuvre rapide de constructions comme le TAPI, ainsi que de voies ferrées entre nos pays, aideront à établir la paix mais aussi le développement économique de l’Afghanistan » (la vidéo est disponible, accompagnée de sa traduction en anglais, sur le site officiel du ministère des Affaires Étrangères turkmène ici).
Un discours pas bien éloigné, cependant, des promesses déjà faites en décembre 2016 (« Les Talibans sont déterminés à protéger les infrastructures comme le TAPI ou le CASA 1000 [autre initiative cyclopéenne et régionale d’export d’énergie, hydroélectrique cette fois, NdlR]« ) et réitérées en 2018 (« Le groupe coopèrera et assurera la sécurité des projets dans les zones que nous contrôlons« ), rappelle, narquois, le magazine américain The Diplomat.
Les amateurs de dictature sanglante trouveront certainement de quoi se réjouir de ces nouvelles : si le pain et les jeux ont pu souder la Rome Antique, nul doute que Dieu et le gaz est un duo d’avenir.