Kampala, capitale de l’Ouganda.
4 millions d’âmes logées entre une baie de l’immense lac Victoria et le tombeau des rois du Buganda —4 tombes circulaires, couvertes de chaume, remontant au début du XX° siècle et classées au patrimoine de l’UNESCO.
80 % d’agriculteurs, du pétrole, du cuivre, du cobalt. Et des pêcheurs, notamment de perches du Nil, ce poisson éthiopien, introduit dans la région durant les années 50, et emblème du Cauchemar de Darwin, l’effrayant film d’Hubert Sauper qui documentait les ravages de la mondialisation sur l’économie, la nature et la vie africaines.
Et au milieu de tout cela, Wamala Twaibu, l’homme aux mains plongées dans la misère. Titulaire d’une licence en Études du Développement à l’Université chrétienne de l’Ouganda, puis d’un master en Études des Réfugiés et des Migrations, l’homme a signé quelques papiers de recherche aux titres qui en disent long sur ses préoccupations : Enfants, jeunesse et conflits armés : comment la participation de la jeunesse aux guerres est un frein à la paix en Afrique, une étude de cas en Ouganda du nord ; Les ONG et la réinsertion des enfants soldats : l’exemple de l’organisation Caritas Gulu ; ou, en avril 2O2O : Risques sexuels et dûs aux injections de drogues à Kampala : une étude exploratoire et qualitative, dans laquelle il notait une prévalence de 17 % de cas de HIV chez les usagers de drogues dures (contre 6,6 % de la population générale, l’un des taux les plus élevés au monde), et notait :
« Les efforts de réduction des risques dans la région sont manifestement insuffisants, et sont ralentis par l’addictophobie de celles et ceux qui les mènent, le stigma attaché aux personnes contaminées par le VIH et les usagers des drogues injectables, et l’absence de volonté politique. [Or] les chercheurs s’accordent à dire qu’une combinaison d’approches sont nécessaires pour une action efficace : fourniture de seringues stérilisées, par le biais de programmes d’échanges, tests de dépistage réguliers des personnes, pouvant les aiguillers vers les soins appropriés, soins antirétroviraux […], thérapies médicalement assistées, accompagnement psychosocial et prophylaxie pré et post exposition. »
Tout est donc à faire, mais par où commencer ? Par où casser le cercle vicieux ?
Et la république d’Afrique de l’Est, qui accueille plus d’un million cinq cent mille réfugiés, principalement du Soudan et du Congo voisins (et accessoirement dirigée par le même chef d’État depuis… 1986) est-elle en mesure d’imaginer un nouveau paradigme de soin et de protection des usagers de drogues dures ?
S’intégrer en communauté, réintégrer les communautés
En 2008, Twaibu a fondé l’Uganda Harm Reduction Network (Réseau Ougandais de Réduction des Risques, RORR), qu’il dirige depuis. Outre son travail de terrain, son labeur et son lobbying sans relâche en faveur des usagers de drogues injectables lui ont permis d’obtenir, en 2017, l’établissement de programmes pilotes d’échange de seringues.
Et désormais, le voilà lancé dans un nouvelle action concrète, financée par l’agence des Nations Unies ONUSIDA. Un système pionnier visant à aider les addicts à reconquérir une vie sociale, et à se désintoxiquer. Le « Empowered PWID Initiative for Transformation » (Initiative pour la Responsabilisation des Usagers de drogues injectables et pour la Transformation) repose sur l’idée que les difficultés sociales et économiques des toxicomanes aggravent leur toxicomanie, qui en retour aggrave leur précarité.
Puisque « simplement décrocher » s’avère incroyablement difficile, voire impossible, Wamala Twaibu a imaginé de prendre le problème par l’autre côté, peut-être par la racine. Et casser la pauvreté, l’inactivité, l’absence de perspectives, la solitude.
L’idée : les volontaires, qui doivent impérativement être engagés dans une thérapie médicalement assistée, seront formés à divers artisanats, pour développer leurs propres sources de revenus. La communauté ainsi créée devrai également adopter une approche « Save, take and return » (économiser, encaisser et recommencer) : chaque bénéficiaire s’engage à épargner chaque jour une partie des bénéfices, sur une durée de quelques mois. Un système qui peut réconcilier avec le long-terme, le lendemain, et contribuer à remettre d’aplomb le système cérébral de récompense.
80 hommes et femmes participent au projet, réparties en 16 groupes dans les cinq arrondissements de la capitale… Et 6 de ces groupes seront dirigés par des femmes.
Twaibu explique à ONUSIDA :
« Le changement est possible lorsque nous nous entraidons sans discrimination ni stigmatisation. Je souhaite voir une communauté de consommateurs et consommatrices de drogues injectables transformée et responsabilisée, avec ses membres capables de se soutenir mutuellement en cas de besoin. » Et de préciser :
« J’ai consommé pendant plus de sept ans des drogues injectables et je sais à quoi ressemble le quotidien de toxicomanes. Ce fonds s’intéresse à l’émancipation socioéconomique des populations clés sous l’égide de la communauté touchée. C’est ce qui fait tout son intérêt. Il est important que la communauté détienne la mainmise sur l’initiative, car il ne faut rien faire pour nous sans nous impliquer. »
Un espoir post-Covid
L’initiative arrive sur un terrain fortement dégradé car, là aussi, la pandémie de Covid-19 a considérablement nui aux politiques de réduction des risques : une récente étude du RORR relevait un écroulement de l’accès au soutien dans tous les domaines : prophylaxie pré-exposition, conseils et assistance psychosociale, dépistage… Mais c’est aussi l’accès aux préservatifs qui a diminué ainsi que, pour les toxicomanes, celui aux substituts comme la méthadone. Les risques sont bien sûr aggravés, mais aussi les rechutes, les troubles à l’ordre public, le tout dans un contexte fortement tendu par la crise, ce qui explique que le réseau humanitaire constate également une augmentation de la violation des droits humains de 25 % chez ces publics : détentions arbitraires, violences policières et même tortures, évictions de domicile… Les femmes, comme d’habitude, étant aux premières loges :
« Les violences basées sur le genre, parmi les usagers de drogue, ont été au plus haut durant la pandémie de Covid-19 et ont particulièrement affecté les femmes. Les normes sociales toxiques et les inégalités de genre préexistantes, l’angoisse sociale et économique engendrée par la crise, associées aux restriction de déplacement et aux mesures de distanciation sociale expliquent ce phénomène. De nombreuses femmes, usagères de drogue, ont passé le confinement enfermées avec leur conjoint violent, sans pouvoir bénéficier des systèmes de soutien ou des mécanismes judiciaires. »
Dans ces décombres que laisse, en se retirant, la dernière vague du drame sanitaire et social du SRAS Cov-2, quelques futurs naissent encore et toujours, obstinément;
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Pour aller plus loin :
- Un reportage sur place sur le site de l’ONUSIDA (en anglais).
- Le complet de l’INSERM, en 2010 sur la réduction des risques en France et, plus récent, celui portant sur les expérimentations de salles de consommation à moindre risque.
- L’Ouganda, un futur lion africain ? Un reportage du Point sur les atouts économiques actuels du pays.