Dans la série des phrases qui n’auraient jamais dû voir le jour, nous vous proposons aujourd’hui : « La dernière publicité d’un magasin de camping australien soulève l’émotion car on y voit un homme manger un sandwich à la chauve-souris ; tensions internationales à craindre ».
Mais reprenons depuis le début.
Pub au grand air
La marque australienne Boating Camping and Fishing Company (BCF) qui, comme son nom l’indique, vend du matériel de canotage, de camping et de pêche, a souhaité miser sur l’humour pour sa dernière campagne publicitaire. Il faut dire qu’elle a une jolie carte à jouer : dans l’hémisphère sud, nous sommes en plein cœur de l’été et, en raison bien sûr de la pandémie de Covid-19, il n’est pas vraiment question de partir à l’étranger dans l’immédiat.
Pour l’entreprise (une filiale du Super Retail Group, qui pèse près de 90 millions d’euros de revenus annuels), le message à faire passer à ses clients potentiels est donc assez clair : profitez de la merveilleuse nature australienne, et campez donc en famille !
C’est pour eux une splendide opportunité commerciale, un message tout trouvé. La production d’une nouvelle publicité est confiée illico à l’agence The Monkeys, dont le nom sent bon la dérisions version start-up, bureaux blancs et webmarketing : chez The Monkeys, on ne fait pas de la pub, on « crée des idées provocantes qui vivent dans la publicité, le divertissement la technologie. »
Résultat : un film de 30 secondes qui montre une famille profitant à plein des joies du camping, entrecoupées de plans sordides sur les pauvres citadins restés, eux, dans leur ville triste et grise. Le tout sur fond de musique country chantant que, si l’on pouvait avoir des plans de voyage, tous sont tombés à l’eau parce que, quelque part, « quelqu’un a mangé une chauve-souris ». On aperçoit alors un jeune campeur se repaitre à son tour d’un sandwich au chiroptère. Mais ce n’est pas grave : grâce à lui, nous (enfin eux), sommes coincés dans « le plus bel endroit sur Terre » : notre chère Australie !
Émotion garantie : peut-on rire du coronavirus, et du confinement, alors que le monde se prépare à affronter une nouvelle vague mutante dont les effets sur nos sociétés et surtout nos vies promettent d’être ravageurs ? Peut-on rire du fait de manger des chauve-souris, n’est-ce-pas en plus un peu raciste, d’autant que rien ne prouve, à ce stade, que ce mets asiatique soit à l’origine de la pandémie ?
Suite aux nombreuses plaintes de spectateurs, le Bureau de Vérification de la Publicité local, le Ads Standards, va se pencher sur la question. Son directeur, Richard Dean, précise à la presse : « Les Australiens sont connus pour leur humour irrévérencieux, nous le savons. Et nous le prenons souvent en compte lors de nos délibérations. Toutefois, la pandémie a des conséquences dévastatrices et il est vital que le point de vue des personnes affectées soit reconnu dans le traitement de leur plainte et son examen. »
Symbole de l’année
Le vrai problème dans cette histoire (tant il va de soi que le scandale en question était, nous le parierions volontiers, prévu et souhaité par le plan de communication, celui-ci intégrant la reprise des éléments de langage de la marque, gratuitement, dans divers médias, comme nous venons d’ailleurs de le faire ici) réside dans le fait que ce repas à la chauve-souris a, depuis l’émergence de la crise à Wuhan, revêtu des atours de symbole plus que de curiosité touristique.
La blague consistant à se moquer de ce repas a déjà été faite et refaite, vue et revue, et très souvent avec un soupçon de mépris pour ce plat exotique, mal venu de la part de peuples se délectant, par exemple, d’escargots et de grenouille.
Or les relations entre l’Australie et la Chine constituent un point clé de la géopolitique présente et à venir, à mesure que les points de crispations internationales se déroutent vers le Pacifique : ces deux pays de la région, grands comme un continent, économies colossales de l’hémisphère sud, sont obligées de coopérer tout en demeurant rivales sur tous les plans : économiques, géopolitiques et, si tant est que ça ait encore de l’importance, moraux.
Diplomaties à cran
Le dernier épisode en date remonte, une fois de plus, à cette malheureuse chauve-souris. L’Australie ayant annoncé soutenir et s’engager en première ligne dans une commission d’enquête de l’OMS partie chercher sur le territoire chinois les origines du coronavirus, Pékin s’est déclaré « choqué » par le soupçon qui, selon sa diplomatie pourrait « mettre en péril » la relation entre les deux géants.
Des premières mesures de rétorsion ont été prises immédiatement : la hausse des droits de douane sur quantité de produits australiens, au premier rang desquels l’orge (+ 80 %) et le vin (+ 200 % en moyenne) —les exports en Chine de celui-ci représentant 40 % de la production locale.
Le tout accompagné par la diffusion, sur le compte Twitter du porte-parole du ministère chinois des Affaires Étrangères, d’une image qualifiée de photomontage par Canberra et juxtaposant un enfant afghan à un soldat australien équipé d’un couteau ensanglanté, assortie du commentaire : « Choqué du meurtre de civils et prisonniers afghans par l’armée australienne. Nous condamnons fermement ces actes, et appelons à une sanction contre les coupables. » Histoire de mettre l’accent sur une démarche considérée comme de la pure ingérence, et de renvoyer la balle à l’expéditeur.
Bravo à France 24 pour avoir titré cette vidéo « La Chine voit rouge ».
De fait, un rapport du ministère de la Défense australien examiné par l’agence Reuters juge « crédibles » les informations selon lesquelles 25 soldats auraient tué de sang-froid 39 civils et prisonniers afghans entre 2009 et 2013. La pratique semble avoir été considérée comme un entrainement pour les jeunes recrues des Forces Spéciales sur place.
Et la pub dans tout ça ? Ah oui, la pub… Alors, on a évité de la montrer jusqu’ici parce que, comme évoqué plus haut, se faire le relais d’une campagne de communication, c’est pas trop notre truc et parce que, entre nous, on ne la trouve ni drôle ni chic (avis subjectif, à décorréler de son éventuelle pertinence locale, c’est peut-être aussi une question de culture et de contexte).
Mais la voici : juste histoire, à notre tour de vous rappeler que, en cas de pandémie respiratoire mondiale et quand le temps permet, le camping, c’est bien aussi. Bon séjour !