Au Sénégal, une jeunesse face aux entreprises minières

À Kédougou, des manifestations d'employés réclament un recrutement plus transparent, plus inclusif et, surtout, plus efficace.

Temps de lecture : 12 minutes
Manifestations Mines Sénégal
© NASA

par Samba Bathie (correspondant)

À Sabodala, dans la région de Kédougou au sud-est du Sénégal, il y a un employeur-roi : Sabodala Gold Operation (SGO), une filiale depuis 2021 de Endeavour Mining, société d’exploitation minière canadienne, et premier groupe aurifère d’Afrique de l’Ouest.

Depuis 2008, date à laquelle le gisement d’or de Sabodala a commencé à être exploité, SGO est incontournable, comme en témoignent, en 2020, ses près de 90 milliards de Francs CFA décaissés auprès de fournisseurs sur place et sa contribution à hauteur de 138 milliards de Francs CFA à l’économie locale, selon les chiffres de son Directeur général, Abdoul Aziz Sy (par ailleurs vice-président chargé des Affaires Publiques de Endeavour Mining).

Vidéo de promotion d’Endeavour Mining

La création d’emplois dans l’environnement immédiat est d’ailleurs un pilier revendiqué de la politique de l’entreprise. Sy rappelait à ce propos lors du dernier Salon des mines : « avec sa stratégie de développement durable, SGO veut renforcer l’employabilité et l’expertise locale. Déjà, 95 % des employés d’Endeavour Mining sont des nationaux et plus de 31% sont issus des communautés locales et environnantes ». À tout cela s’ajoutent régulièrement des opérations de soutien aux populations, par exemple, récemment, le don de fournitures scolaires aux écoles de la commune pour 7 millions de Francs CFA en novembre dernier. Dans une région rongée par la misère, les initiatives de la compagnie canadienne semblent indispensables aux populations comme aux responsables, d’autant qu’Endeavour Mining revendique une politique volontariste de développement durable.

Et pourtant, ces derniers jours, la contestation monte. Ouvriers, élèves, chômeurs… ils ont décidé de se faire entendre pour exiger ce qu’ils estiment « leur revenir de droit ».

Objectif principal : un recrutement plus transparent

Très déterminés, « les jeunes » —comme on les appelle ici et comme ils se nomment eux-mêmes, même si la moyenne d’âge est plutôt de 30-40 ans— se sont organisés au début du mois d’avril pour lister leurs nombreuses préoccupations, dans un contexte où les sociétés minières, avec leur fort besoin en main-d’œuvre, apparaissent comme une aubaine pour Sabodala. C’est justement pour mieux répondre à cette demande qu’un comité avait été mis en place entre les autorités publiques, les habitants et les représentants de SGO : il était convenu que le recrutement soit mieux organisé afin de profiter aux populations locales. Car selon la rumeur commune, nombre de ces emplois seraient captés par des Maliens et des Guinéens généralement « moins exigeants en termes de rémunération ». 

Beaucoup misaient sur ce nouveau comité local d’embauche… quand à la place s’est ouverte une autre commission de recrutement locale, dans le village de Tenkoto. Pourquoi ? Comment ? Dans quel but ? pour « les jeunes », cette initiative témoigne au minimum d’une désorganisation certaine… Sur un enjeu vital pour eux, « une mauvaise politique de recrutement local qu’il est urgent de corriger ».

C’était leur première demande : la suppression de la dernière commission afin de laisser celle de Sabodala tout centraliser. « C’est plus cohérent. On ne peut pas créer un nouvel outil alors qu’une commission en charge de cette question existe déjà. Ça risque de créer des problèmes », dénonce Lamine Diamanka, un des initiateurs du mouvement. En effet, il estime que l’équilibre dans cette localité tient à fil. Le contraste est frappant. « Il y a des gens très riches qui exploitent les mines et des gens qui pourtant ont vu leurs arrières grands-parents être enterrés ici tirer le diable par la queue. Les populations sont très touchées par cette injustice. Aujourd’hui, le seul moyen de les soulager, c’est d’offrir des emplois en masse aux jeunes et penser très sérieusement à la protection de l’environnement », plaide-t-il, du haut de son mètre 80 et de son boubou traditionnel, durement éprouvé par la forte canicule. 

Depuis ce premier accro, la situation s’envenime un peu plus chaque jour.

Embrouillaminis total et démarches locales

Taille moyenne, verbe facile, regard fixe, la quarantaine sonnée, Fily Cissokho porte la parole des employés comme des candidats à l’emploi. Il égrène le chapelet des doléances. « Nous voulons des couloirs d’orpaillage de valeur, le financement de projets, plus de considération envers la jeunesse de Sabodala. Les jeunes doivent sentir les retombées de l’exploitation de l’or dans leur localité. C’est dans l’ordre normal des choses », a-t-il plaidé.

Vidéo de Sabodala Actu sur Facebook.

Selon l’un des responsables du mouvement, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase réside dans la politique d’emploi d’Endeavour Mining. « Le problème, c’est que ce sont des jeunes qui ont été recrutés sur proposition de la deuxième commission de recrutement », souligne-t-il. Car l’imbroglio n’épargne personne. La seconde commission se plaint elle aussi de ne pas avoir été impliquée par les travaux de la commission de Sabodala. Et dans le même temps, la liste des revendications de la jeunesse de Kédougou s’allonge : outre leur demande d’un recrutement plus rationnel et surtout plus transparent, ils demandent désormais plus de responsabilisation, la mise à leur disposition d’un centre de formation promis de longue date, le respect de la convention minière… Bref, de se sentir partie prenante de l’économie locale et respectés pleinement.

Même s’ils semblent déterminés à ne céder sur aucune de ces exigences, les jeunes ont pris l’option d’y aller avec diplomatie. En plus d’une marche pacifique, ils ont compilé leurs requêtes dans un document qu’ils ont remis au sous-préfet de Sabodala, répertoriant leurs réclamations… Au premier chef la suppression de la commission de Tenkoto. Parce que, affirment-ils, l’arrêté préfectoral indique qu’il ne peut y avoir deux commissions dans une seule commune. 

Les autorités publiques comme intermédiaire

Du côté de la municipalité, le discours est quasiment le même. Le maire de la commune de Sabodala, Mamadou Cissokho, appelle à plus de transparence. « Les jeunes sont dans le désarroi.  Il faut donc trouver une solution à cela.  Ça peut exploser à tout moment », a-t-il prévenu dès la première marche des jeunes. Pour cet homme qui a longtemps travaillé dans les exploitations minière, cette décision de créer une autre commission cache « une volonté des responsables des entreprises minières de semer le flou dans leurs actions ».

Dès réception du mémorandum des revendications, le sous-préfet de Sabodala, Oumar Mamadou Sow, a de son côté mis en branle le processus pour désamorcer la bombe. C’est ainsi qu’il a réuni l’ensemble des acteurs que ça soit les responsables des jeunes, de la société minière, des commissions…. Selon lui, il est possible de trouver des solutions même au nouveau local. Mais d’après lui, tout passe par le dialogue.

Du côté des entreprises minières, même si on est déterminé à participer à tout ce qui peut aider à apaiser la situation pour de bon, on refuse de se prononcer sur les avancées des discussions. « Comme l’autorité de tutelle a entamé des discussions avec toutes les parties, nous ne jugeons pas opportun d’en parler. Nous osons juste espérer qu’une issue heureuse sera vite trouvée », indique une source au sein de l’entreprise Endeavour Mining. 

Sur Facebook, une habitante rappelle, à toute fins utiles : « Si vous n’êtes pas une partie de la solution… vous êtes une partie du problème.

/// Aller plus loin
« Mine d’or et développement durable. Quelques réflexions sur le site de Sabodala », une étude de Mouhamadou Lamine Diallo pour EchoGeo paru sur Open Editions.
« Au Sénégal, l’enfer des mines d’or pour des centaines d’enfants », un reportage de Rémi Barroux pour Le Monde.
Suivre Sabodala Actu sur Facebook.

L’auteur
Samba Bathie est journaliste économique à Dakar, Sénégal.