« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours ! »
Ainsi doivent penser les boomers sud-coréens, en ce début 2022 : l’époque est en train de de chasser la consommation canine, du traditionnel ragout jusqu’à la célèbre fondue au chien.
Offensive politique
L’action contre la consommation, mais aussi ce qu’elle implique, à savoir des fermes d’élevage où les bêtes sont encagées des années durant, se fait sur plusieurs fronts.
Sur le plan politique, la Corée du Sud sait que cette tradition brouille son image internationale. Outre les émotions régulièrement suscitées par les images de fermes ou de marché aux chiens, cette habitude dessert sa réputation de pays en pointe sur l’économie, le luxe, la technologie et le tourisme. Ainsi, en 1988, le pays avait déjà fait fermer tous les restaurants de chien durant les Jeux Olympiques, par crainte de nuire au prestige de la cuisine locale.
Depuis, l’interdiction définitive de cette pratique n’a fait que progresser et, ces dernières années, accélérer. La mondialisation est probablement aussi en jeu : la consommation canine, ou cynophagie, est de plus en plus mal vue, même localement, et de moins en moins pratiquée. En 2018, c’est le principal abattoir de la ville qui était fermé, pour être transformé en parc arboré. Fin décembre 2021, sous l’impulsion du Président Moon Jae-in, le gouvernement s’est attelé à la création d’une « task force », mêlant élus, citoyens et éleveurs afin d’étudier la possibilité d’une interdiction à terme. Sa composition définitive, cependant, doit être annoncée en avril… soit après la prochaine élection présidentielle du 9 mars prochain.
Un détail qui explique peut-être pourquoi, sans tarder, ce 25 janvier, l’élu du Parti Démocrate (centriste) Yang Min-gyu a officiellement soumis au conseil municipal de Séoul une proposition de loi pour interdir définitivement la cynophagie dans la ville —et promouvoir « une culture de sympathie envers le chiens. »
Activisme citoyen
Mais les militants et militantes de la cause animale n’ont pas attendu les débats politiques pour agir. Ainsi, en tout début d’année, la branche locale de la Humane Society International (HSI, un genre de S.P.A., créée aux États-Unis mais présente partout sur la planète) se félicitait d’avoir poussé à la fermeture une ferme de chiens de plus d’une centaine de têtes —ou d’âmes, pourrait-on plutôt écrire—, la dix-septième depuis la création, en 2015 de sa campagne pour la fin du commerce de viande de chien, laquelle a aussi contribué à la fermeture du Gupo Market de Busan, l’un des plus grands de la ville. Au total, à l’heure d’écrire ces lignes, ce sont plus de 2 500 animaux qui ont été sauvés —de conditions déplorables et douloureuses, mais aussi de la mise à mort par électrocution.
Le système repose sur la constatation selon laquelle la consommation de chien dans le pays, qui n’est d’ailleurs pas officiellement reconnue dans la loi, simplement tolérée, ne fait que diminuer, année après année. La HSI est donc passée à l’acte, avec un programme qui vise à aider, accompagner et conseiller les propriétaires de fermes de chien, forcément inquiets pour l’avenir de leur business, à changer d’activité. Et plutôt cultiver, par exemple, des herbes médicinales ou de la myrtille, très populaire là-bas, y compris en leur procurant un soutien financier.
Quand l’installation ferme ses portes, des membres de l’ONG se rendent sur place et embarquent les chiens pour, après un passage en abri, afin de leur procurer des soins vétérinaires et d’évaluer leur comportement, les proposer à l’adoption, principalement aux USA, mais aussi au Royaume-Uni ou au Canada : selon les activistes de la HSI, seules les races de petite taille trouvent preneurs au pays de Lassie.
En France, nous apprend Wikipedia, la cynophagie s’est pratiquée aussi, en période de disette. Sous l’Occupation nazie, donc, mais aussi durant la guerre de 1870. L’encyclopédie cite ainsi, en guise de témoignage, quelques vers de Guillaume Apollinaire, extraits de « La Maison des Morts », un poème d’Alcools dédié au critique d’art Maurice Raynal.
Comme nous avons entamé cet article en poésie, concluons-le de même… D’un extrait seulement, car le texte est bien long… Mais incroyablement beau. Nous vous conseillons donc, surtout, de le lire ou relire immédiatement, dans votre édition papier ou en ligne, ici.
Les enfants déchiraient l’air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne
Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
À demain
À bientôt
Beaucoup entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour y acheter leur repas du soir
Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s’en allaient tout droit
Au cimetière
Où
Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés
Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines