Des jeux qui stimulent l’intelligence… collective

Temps de lecture : 17 minutes
jeux stratégie intelligence collective
© Asmodée

Je vous propose d’affiner votre intelligence stratégique, soit pour élaborer une réflexion à plusieurs, plus rapidement, soit pour vous affronter l’un contre l’autre, plus intelligemment. Pour ne décevoir personne, non, je ne parlerai pas de ce jeu interminable de plateau qu’est Risk, disons-le d’entrée ! Collaboratifs ou compétitifs, les jeux suivants sont classés par niveau de difficulté et par ordre chronologique. Avant de découvrir la période post-apocalypse, on débute ce voyage au Moyen-âge.

Carcasonne : au temps jadis

 


 
On commence doucement avec Carcassonne, un jeu de compétition (de 2 à 5 joueurs) où chacun incarne un bourgmestre médiéval débutant, en quête d’influence. Concrètement, vous devez construire le plus de villes, le plus de champs et le plus de routes, à l’aide de tuiles que vous tirez au hasard (les tuiles sont des cartes cartonnées carrées, pas de vrais morceaux de toiture).

Très facile d’accès, c’est l’amuse-bouche du jeu de stratégie avec, il faut l’admettre, une grande part de chance qui peut vite lasser.

Vous pouvez vous le procurer ici sur Amazon.

Above and Below : Sens dessus-dessous

Entrons maintenant dans le vif du sujet, avec Above and Below (« Au-dessus et Au-dessous »). Le titre est assez clair : dans ce jeu cohabitent deux mondes dans lesquels vous devez investir, et obtenir un maximum de points. Vous pouvez également vous constituer en équipes de deux – avec deux mondes à gérer en même temps. Parfois, deux cerveaux valent mieux qu’un.
 

Jeu en plateau
Above and Below © Red Raven Games

 

Le monde du dessus est consacré à la création de villages médiévaux, façon Age of Empires (pour celles et ceux qui connaissent cette belle époque du jeu sur PC). Vous recrutez des villageois.es qui travaillent pour vous, qui récoltent des denrées, qui vont à la mine et qui à la fin de leur journée de leur dur labeur (c’est-à-dire à la fin d’un tour de jeu) vont se reposer.

Le monde du dessous consiste à aller à la mine et à construire une ville souterraine. Le schéma est complètement différent du monde du dessus. On est assez proche du jeu de rôles (“version édulcorée” pour ne pas agacer les puristes…) car vous devez, pour construire un élément souterrain, faire un choix crucial entre deux propositions cruelles. Vous lancez un dé, et en fonction du résultat la carte que vous cherchez à obtenir vous donne un numéro (ex : 99). Derrière ce numéro se cache une histoire fantastique contenue dans un livret qu’un joueur d’une équipe adverse doit vous lire.
 


 
Les histoires sont très bien écrites et vous amènent, par exemple, à devoir choisir entre :
aider une vieille dame aveugle à retrouver son chemin
(cela génère peu de points, mais peut vous aider à gagner des points d’estime)
lui voler un bijou de valeur et profiter sournoisement de son invalidité
(oui c’est cruel, ça fait peut-être gagner beaucoup de points mais la probabilité d’en perdre un paquet en estime est réelle).

Finalement votre réussite se trouve dans votre capacité à investir raisonnablement les deux univers opposés (ou pas) en fonction de vos possibilités, de votre jeu et de celui des autres. Above and Below offre de nombreuses possibilités de rejouabilité, puisque les histoires du monde du dessous sont nombreuses, de même que les objets de construction du monde du dessus.

Pour se procurer Above and Below, c’est par ici.

Les Chevaliers de la Table Ronde : à moi la magie

L’époque du Moyen-Âge est une réelle mine d’or pour les créateurs de jeux, ces derniers ne pouvaient définitivement pas passer à côté de l’adaptation d’une véritable légende : Les Chevaliers de la Table Ronde, un jeu coopératif dans lequel vous incarnez l’un des chevaliers du roi Arthur. Vous tentez de contrer la progression du mal (La sorcière Morgane et toute la clique) en faisant progresser le bien à votre tour de jeu. Vous avez pour mission de ramener sur la table du conseil d’Arthur le maximum d’épées du bien (les blanches) et le moins d’épées du mal (les noires).
 

Jeu en plateau
Les Chevaliers de la Table Ronde © Asmodée

 
Vous devez remporter des quêtes, dont les trois plus importantes sont la récupération de trois reliques : le Graal, l’armure de Lancelot et l’épée d’Excalibur. La partie ne s’arrête que de trois façons différentes : ou le château d’Arthur est assiégé par 12 engins de siège, ou vous déposez 12 épées sur la table d’Arthur, ou tous vos chevaliers sont morts. Dans les cas 1 et 3 vous perdez sans l’ombre d’un doute, dans le second cas vous gagnez si et seulement si vous obtenez une majorité absolue d’épées blanches par rapport au nombre d’épées posées.

Toutefois, il y a une subtilité : vous pouvez penser qu’il suffit d’avoir 7 épées blanches et hop, la partie est pliée… mais non ! Une seconde phase du jeu se déroule alors et vous contraint à obtenir d’autres épées afin d’en obtenir rapidement 12 (quelles que soient leurs couleurs), et ceci avant de vous faire envahir par des engins de siège.
 


 
J’évoquais l’aspect coopératif du jeu, pour donner un peu de piquant l’auteur a ajouté la possibilité de faire jouer un félon. Le félon est un chevalier converti aux forces du mal qui, au lieu de faire progresser le bien, cherche, de manière cachée dans un premier temps, puis ostensiblement, à vous mettre des bâtons dans les roues ! Restez donc sur vos gardes, et ne faites confiance à personne.

Une dernière chose : dès le départ il est important de définir une règle concernant le niveau d’informations que vous souhaitez échanger. Chacun possède des cartes en main, mais il est impossible de les montrer aux autres. Des puristes affirment que vous ne devez rien dire de vos cartes, car cela revient à tricher. D’autres, plus conciliants, acceptent que vous disiez « je peux aller récupérer le Graal ». Dans tous les cas, tous s’accordent sur le fait que vous ne pouvez pas dire « j’ai 6 cartes de niveau 4 ». Je vous préviens car cela peut en fâcher certains… (#vécu).

Vous trouverez Les Chevalier de la Table Ronde par ici, ainsi que son extension.

1 500 jours plus tard…

Quittons le Moyen-Âge, destination 2050, demain quoi, en pleine apocalypse. Pandémie, quand l’apocalypse prend la forme de 4 virus qui, petit à petit, contaminent toutes les villes (Si vous avez vu L’armée des 12 singes, imaginez que c’est par la voie des ponts aériens que le virus se propage, et que vous incarnez un avatar de Bruce Willis…). C’est peut-être le jeu de stratégie coopératif le plus complexe auquel j’ai été amené à participer jusqu’à présent.
 

Jeu en plateau
Pandémie © Asmodée

 
Plantons le décor : vous incarnez différents personnages qui cherchent à contrecarrer les virus en fabriquant 4 antidotes (exemples de rôles :
l’ingénieur, le chercheur, le professeur… ou l’ingénieure, la chercheuse, la professeure). Contrairement au jeu précédent, là ,c’est clair :
il faut parler. Vraiment beaucoup parler, parler longtemps, et ceci à chaque tour de jeu dans le but de créer et de réviser constamment votre stratégie de Louis Pasteur du XXI° siècle.
 

 
En face de vous : une puissance virale surpuissante. J’insiste lourdement, sans cette parfaite communication vous perdrez à coup sûr. Cette « viralité surpuissante » est dû au système de propagation du virus. Chaque ville est reliée à 3 ou 4 autres par des ponts (aériens disons, cf. L’armée des 12 singes pour celles et ceux qui suivent). Quand un virus se propage il le fait selon 4 niveaux d’alerte (matérialisés par des petits cubes que vous allez empiler sur vos villes).

À chaque tour de jeu, vous propagez les virus par un tir de cartes aléatoires. Vous ajoutez des cubes sur la ville tirée au sort. Quand vous arrivez au stade 4, il se produit un effet multiplicateur terrible : chaque ville reliée à la votre se retrouve également contaminée par un cube… Vous l’aurez compris, via ce réseau d’agglomérations, la progression des virus devient rapidement exponentielle ! Les meilleures parties sont celles où vous prévoyez votre tour de jeu avec 5 coups d’avance. Même avec cela, il s’en faut souvent d’un cheveu et d’un brin d’intelligence collective pour gagner. Bonne chance !

Pandémie est disponible par ici.

Seasons : le monde d’après ?

Pour terminer, Seasons. La vie humaine s’est éteinte, les virus ont proliféré puis sont également morts car ils n’avaient plus de corps à infester. Ne restent sur la Terre que les énergies de base (l’eau, le feu…), les créatures magiques et d’étranges cristaux. Dans ce jeu de deck compétitif vous incarnez un mage en quête de cristaux. Vous jouez au gré des saisons sur trois années consécutives (cf. la traduction française du nom du jeu pour celles et ceux qui suivent).
 

Jeu en plateau
Seasons © Asmodée

 
Il y a deux grandes phases de jeu :

1 la constitution de votre deck que vous dévoilez tout au long de la partie (vous avez droit de dévoiler 3 cartes par année). On vous distribue un tas de 9 cartes, vous en choisissez une et passez les 8 autres à votre voisin. Ainsi de suite, jusqu’à avoir distribué toutes les cartes. Vous voyez régulièrement passer votre premier tas de cartes, amputé de quelques cartes acquises par vos futurs adversaires (souvent les cartes que vous vouliez, bien sûr). Dans cette phase, vous imaginez une stratégie sur trois années, en essayant de maximiser les effets combinatoires positifs entre les différentes cartes de votre futur jeu.

2 le chrono commence à tourner (via un système de lancer de dés très bien conçu). Un tour de jeu n’a pas de limites en termes de nombre d’actions, tant que vos cartes vous le permettent. Ainsi, si vous avez optimisé efficacement votre choix de cartes en phase 1, vous pouvez prolonger votre temps de jeu et accumuler de nombreux cristaux, vous faisant ainsi détester de vos adversaires avides de jalousie par tant de génie intellectuel !
 


 
Vous pouvez également optez pour une autre stratégie : « embêter vos voisins ». Certaines cartes sont en effet de réelles entraves et peuvent empêcher de tourner en rond. À la fin de la dernière saison de l’âge 3, les mages comptent leurs cristaux, celui qui en possède le plus gagne. Ce jeu a un degré de rejouabilité infinie car il existe de nombreuses cartes différentes. Vous aurez ainsi des configurations de stratégie différentes d’un jeu à l’autre. Si vous en avez fait le tour, il existe des extensions très sympathiques. Seasons se trouve par ici.

Après avoir enchainé ces jeux de stratégie qui auront épuisé tout le capital glucose destiné à vos neurones, il vous faut revenir doucement au moment présent, en prenant soin de ranger délicatement les nombreux pions, tuiles, cartes, jetons, cubes que vous aurez disséminé sur votre table à manger, afin de faire de la place pour mettre le couvert. À votre futur cerveau vidé, et votre intelligence stratégique prochainement décuplée, je dis « bon appétit ! ».

Mickaël Ramseyer est ingénieur agronome et surtout créateur de jeux optimistes. Il développe depuis 2017 son activité d'invention de jeux sur-mesures et surprenants, tout en poursuivant ses recherches en sociologie sur l'égalité hommes-femmes.