La salle du Comedia, très belle salle de spectacle parisienne rénovée il y a tout juste quatre ans offre, en ce soir d’automne, un tableau peu commun et fort réjouissant : une foule de santiags, pantalons patte d’éléphants, cuirs et chemises à fleurs. Une salle fringuée au possible, pleine, gonflée à bloc. Plusieurs générations venues ensemble, parents et enfants, assister au spectacle.
Ni seulement concert, ni complètement comédie musicale, mais show musical live porté par douze musiciens à bloc, Welcome to Woodstock veut rendre hommage au festival du même nom en tâchant d’en réitérer l’expérience. De permettre de revivre l’expérience folle, inoubliable, unique au monde que fut, d’après ceux qui eurent la chance de s’y rendre, le plus grand happening musical de l’histoire du rock’n’roll. “I’m going up the country, where do you want to go ?”, comme le chantait alors Canned Heat.
Le monde ancien est un monde nouveau
À l’origine de ce projet, il y a un rêve de jeunesse de Jean-Marc Ghanassia, réalisateur et producteur de spectacles. « À vingt ans, je suis parti sur les routes à la conquête d’un nouveau monde », explique cet homme qui travailla, entre autres, avec John Malkovich, Eric-Emmanuel Schmitt ou encore Jane Birkin. « Le monde de la musique hippie, de ce rock nouveau qui était en train de s’installer aux États-Unis et que nous découvrions, en France, par des disques. Mais qu’est-ce qu’un disque face à une musique vivante ? ».
Welcome to Woodstock n’est pas un spectacle comme les autres. C’est un « stage concert », comme on dit outre-Atlantique. « Cela consiste en un certain nombre de chansons, chantées par un groupe mais aussi intégrées à une dramaturgie », rappelle Ghanassia. « Ce qui signifie que chacune des chansons donne sens aux scènes qui sont jouées et chaque scène donne un sens aux chansons. Donc, on n’est pas du tout dans le principe de la comédie musicale, où une action avance par une action, ici c’est une dialectique, un saut entre les chansons et l’histoire. »
L’histoire commence donc par la sienne, ce voyage fou, en autostop, qu’il fit jusqu’au mythique festival de Woodstock. Il en a gardé toutes sa vie des souvenirs émerveillés, et cette conviction qu’un autre monde était possible. Les utopies de 1968, évoquées avec une juste dose d’ironie et de tendresse dès la première scène du spectacle : Corinne (Magali Goblet, excellente) tente de réviser ses examens dans sa chambre. La pièce est décorée d’affiches d’époque – « CRS – SS » ou encore « La Chienlit c’est lui » au sujet de De Gaulle, rappelant que Mai 1968, c’était il y a quelques mois à peine.
Elle y croit encore, au Grand Soir et à la lutte finale. Impossible pourtant de se concentrer sur ces deux tâches – les études et la révolution, car sa bande d’amis débarque chez elle, pétard aux lèvres et guitare à la main. Ils rêvent d’aller à cet événement incroyable, dont les jeunes du monde entier parlent : un festival où tout le monde va « let his freak out » (laisser s’exprimer son côté bizarre intérieur, ndlr) en écoutant les idoles de leur époque. « Vous n’êtes que des petits bourgeois ! », leur assène Corinne. Elle ira rejoindre le « Che » en Argentine tandis qu’eux embarqueront vers l’Amérique.
Musique initiatique
Dès qu’ils arrivent de l’autre côté de l’Atlantique, nos gais lurons se trouvent confrontés à une réalité bien différente de l’American dream qu’ils imaginaient. Ils errent dans une nature sauvage et quelque peu hostile, façon Walden, une forêt habitée par des bêtes sauvages, où ils rencontrent des Hari Krishna puis une rockeuse américaine rappelant Janis Joplin, qui leur apprendra à jouir sans entraves. La scénographie fait ici s’alterner les couleurs suaves, chaudes, puis criardes quand le délire vire au bad trip. Débarque ensuite un hilarant avatar de Jimi Hendrix, qui vient en fait de la banlieue parisienne, ne jure que par le Black Power et se moque de ces blancs becs petits bourgeois. Il déclenchera une machine à remonter le temps (trouvaille géniale du spectacle, qu’on évitera de révéler ici pour ne pas spoiler).
Le dosage subtil de dramaturgie et de musique fonctionne à merveille, et les plus grands classiques de l’époque prennent un sens nouveau, leur paroles, mises en valeur, retrouvent leur finesse, leur complexité, car habilement utilisées par l’auteur et le metteur en scène. Il y a enfin la qualité de la musique en tant que telle, portée par l’impeccable Yann Destal (moitié de Mojo), qui tient tout le spectacle par sa présence discrète mais rayonnante, comme une aura qui plane sur tout cela.
Outre les grands classiques chantés en chœur par les comédiens-interprètes, et certaines pépites plus méconnues comme le Kosmic Blues de Janis Joplin, le Astronomy Domine de Syd Barrett ou encore le Happy Together des Turtles, dans sa version Frank Zappa, le morceau Welcome to Woodstock qu’il a composé spécialement pour le spectacle vaut à lui seul le déplacement.
Welcome to Woodstock donne envie de vivre, de chanter, de faire l’amour et de croire, malgré le cynisme de notre époque, qu’un autre monde reste possible. À consommer sans modération.
Jusqu’au 7 janvier au Comedia. Plus d’infos ici .