En Inde, un pays sans opposition

Le chef d'État indien, Narendra Modi, voit surgir un nouveau parti décidé à le faire tomber aux prochaines élections. Mais c'est pas gagné-gagné.

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Delhi Opposition Narendra Modi
Delhi, Inde. © NASA

Comme on le sait, l’Inde fait partie des rares pays à s’être abstenus lors du vote de l’ONU condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Outre les liens économiques, bien réels, entre ces deux pays, l’une des raisons qui expliquent ce positionnement spectaculaire réside peut-être dans le tempérament, et l’idéologie politique, de son Premier Ministre depuis 2014, Narendra Modi.

Un chef d’État qui, pour Le Monde « dévoie la démocratie », pour France Culture se situe « entre national-populisme et démocratie ethnique » ou, pour Les Échos, « met à mal les libertés individuelles » Et qui, par ailleurs, a sa propre petite Ukraine à lui, avec le Cachemire à ses portes, dont il a récemment révoqué l’autonomie constitutionnelle (pour la partie indienne, l’ancien pays étant divisé, c’est tout le problème, entre l’Inde et le Pakistan), tout en le coupant brutalement de tout moyen de communication internationale.

Sa politique anti-musulmane, qui exacerbe les violences et discrimine toute une partie de la population, sa tentative récente —et ratée— de libéraliser l’agriculture aux dépens des paysans les plus pauvres, innombrables dans ce pays où le secteur représente 15 % du PIB, ses dérapages sexistes… Sont les raisons majeures qui expliquent pourquoi plus d’un et d’une démocrate souhaite être encore sur cette Terre le jour où il passera la main.

Narendra Modi et Vladimir Poutine lors d’une rencontre à Moscou.
CC Le Kremlin via Wikimedia Commons

Un homme à défaire

Aussi, les récentes élections législatives, dans 5 états du pays, devaient permettre de faire le point sur la situation. Or le parti de Modi, le Bharatiya Janata Party (Parti du Peuple Indien, BJP) en a tout de même remporté 4 sur 5.

Pour compliquer les choses, le seul échec du BJPBJP n’a pas vu la victoire de l’autre grand parti national, l’Indian National Congress (Congrès National Indien, INC), le parti de Gandhi, jusqu’ici considéré comme la seule opposition logique, possible, au leader raciste et autoritaire.

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Car le Pendjab, le seul état perdu par le BJP, s’est tourné vers un nouveau venu, le Aam Aadmi Party, (Parti de l’Homme Ordinaire, AAP).

Celui-ci, fondé en 2012 et dénonçant principalement la corruption et le népotisme du pays, et s’est également prononcé pour la dépénalisation de l’homosexualité. Le voici donc, le nouvel espoir pour les minorités opprimées du pays ? Pas tout à fait.

Le clip de l’AAP pour sa campagne au Pendjab.
À droite, avec les lunettes, Arvind Kejriwal, leader du parti et ministre en chef de Delhi.
Un « terroriste », d’après le ministre de l’Intérieur actuel.

La pente est forte et le chemin est long

Car, et sans même se prononcer sur les nuances politiques, encore obscures, de cette nouvelle création, il y a de toute façon loin de cette victoire au remplacement du Premier Ministre. Récemment, The Diplomat tentait, dans un article touffu, de résumer le désordre total dans lequel sont plongées les oppositions à Modi… Morceaux choisis (accrochez-vous) :

« Après la victoire de Mamata Banerjee et de son All India Trinamool Congress face au BJP au Bengale Occidental en 2021, on a commencé à parler d’elle comme d’une nouvelle leader pour l’opposition […] Elle s’est alors engagée dans l’élection de Goa, où elle s’est rendue en octobre 2011 pour rencontrer les élus qui avaient rejoint sa structure et se féliciter de compter parmi eux ancien ministre en chef (c’est-à-dire un président de gouvernement local) du Parti du Congrès […] Résultat : aucun de ses candidats n’a été élu, et ses partenaires de coalition ont emporté un total de deux sièges.

Mamata Banerjee au Centre de l’Excellence Humaine et des Sciences Sociales de Kolkata, dans le Rajarhat.
CC Ramakrishna Math et Ramakrishna Mission Belur Math via Wikimedia Commons.

L’AAP a donc fait mieux. Mais le problème de son leader actuel, Arvind Kejriwal (par ailleurs ministre en chef de Delhi), comme celui de tout autre potentiel représentant de l’opposition, est que tous les dirigeants locaux en Inde ne voient le prochain premier ministre… que lorsqu’ils se regardent dans le miroir […] Sans parler de l’éléphant de la pièce : le Parti du Congrès a peu de chances de remporter les prochaines élections, mais il compte toujours un nombre conséquent d’électeurs déterminés, qui ne se tourneraient pour rien au monde vers un autre parti, et que toute alliance anti-BJP, si elle veut l’emporter, devrait pourtant convaincre. »

Les prochaines législatives à l’échelle nationale auront lieu en 2023. Il reste donc deux ans à l’opposition pour s’unir, si elle veut empêcher un nouveau mandat de Modi. Souhaitons-lui de ne pas s’inspirer du brillant sens tactique qui caractérise, jusqu’ici, les diverses oppositions à Emmanuel Macron —même si Manuel Valls ne serait pas contre le poste, selon une source toujours bien informée (mon petit doigt).