« Cette victoire est votre victoire. C’est la victoire de tous les Marocains. C’est la victoire de la démocratie » se félicitait Aziz Akhannouch (ou Akhenouch, selon les graphies) un soir de septembre 2021, alors que la réussite de son parti aux élections législatives lui assurait de devenir le nouveau chef du gouvernement marocain.
Le résultat, sans appel, manifestait un retournement certain de l’opinion. Majoritaire jusqu’ici avec près de 28 % des sièges, le Parti de la Justice et du Développement (PJD), islamiste et tenu à l’écart du pouvoir effectif par le roi, dégringolait à 4 %. La nouvelle majorité appartenait désormais au Rassemblement National des Indépendants (RNI), passé, lui, de moins de 10 % des voix à plus de 27. Un succès des plus nets pour ce qui est considéré comme un parti d’opposition, disons, officiel, dans cette démocratie très, très relative qu’est le Maroc de Mohammed VI (le RNI a été créé en 1978 à la demande express du roi de l’époque, Hassan II, et a longtemps été présidé par son beau-frère).
L’argent-roi et le roi de l’argent
Aujourd’hui, le RNI se distingue surtout par sa mise en avant du libéralisme économique. Il est, d’ailleurs, largement constitué d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs. À l’image de son leader depuis 2016, Aziz Akhannouch donc, milliardaire en dollars, actionnaire principal de Akwa Group, une holding détentrice d’une soixantaine d’entreprises, et présente par ce biais dans les domaines, excusez du peu, du carburant, du gaz, de l’énergie solaire, des lubrifiants, du tourisme, de l’immobilier et même de la presse, via sa possession, entre autres, des titres Aujourd’hui le Maroc, La Vie éco ou même Femmes du Maroc. C’est, tout simplement, l’homme le plus riche du pays… après le roi, cela va de soi.
Son engagement politique ne date pas d’hier : il a été président de la région d’Agadir, maire de cette ville, ministre, depuis 2007, de l’Agriculture, de la Pêche Maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts. Il est aussi, allez savoir pourquoi, considéré comme un symbole de la corruption, du népotisme et du clientélisme qui gangrènent le pays.
L’inaction et la manque de volonté sont patents : en janvier, une visioconférence a réuni Akhannouch et le président de l’Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption (INPPLC). À l’issue de cet entretien, « le chef du gouvernement et le président de l’INPPLC ont convenu de travailler sur la définition et la mise en place d’un cadre institutionnel qui devrait assurer la supervision, le pilotage, la coordination, et garantir la programmation et le suivi d’exécution des stratégies et politiques publiques en matière de promotion des valeurs d’intégrité, de prévention et de lutte contre la corruption », résumait alors, sans rire ni s’étouffer, la Société Nationale de Radiodiffusion et de Télévision, la chaîne officielle de l’État.
Dans un autre genre de discours, Transparency Maroc, dans une longue lettre ouverte lui reprochait, en juin dernier, d’avoir pris comme première décision de retirer le projet d’amendement du Code pénal qui devait instaurer le délit d’enrichissement illicite, d’avoir également abandonné un autre projet visant à réguler l’occupation du domaine public et soulignait, entre autres aspects « désespérants » de la gestion de ce problème par le pays, que la commission nationale de la lutte contre la corruption ne s’était réunie que deux fois depuis sa création, en novembre 2017. Pour compléter le tableau, les accusations d’achats de voix par le RNI avaient, d’ailleurs, été portées sans ménagement par ses opposants lors de la campagne électorale —le secrétaire général du Parti Authenticité et Modernité l’accusant, auprès de l’AFP « d’inonder la scène politique avec de l’argent », quand le PJD condamnait « l’utilisation obscène de fonds pour attirer les électeurs et certains superviseurs des bureaux de vote ».
Et tout l’été, le mouvement « Dégage Akhannouch » en a fait sa cible privilégiée, lui reprochant sa passivité face à l’inflation et à la hausse drastique des prix de l’énergie et des carburants (dont il tirait grand bénéfice, compte tenu de ses activités entrepreneuriales dans le domaine —il s’est désengagé de toute activité de gestion d’Akwa, mais en reste Président, et ne parvient pas à faire oublier son image associée à la corruption et aux conflits d’intérêt).
Mais ce n’est pas du tout ce dont on voulait vous parler aujourd’hui. Car désormais, le chef de gouvernement (dont l’épouse, au passage, fondatrice et présidente de Aksal Group, est de son côté la reine du luxe, du prêt-à-porter, des centres commerciaux et des cosmétiques) est en plus parvenu à se fâcher avec près d’un tiers des habitants de son pays, les Amazighs, plus connus en France sous le nom de « Berbères ».
Le chef du gouvernement marocain accueilli aux cris de « Akhannouch, dégage ! » lors d’une visite officielle à Tanger.
Au nom du racisme
Le Maroc compte en effet près de 65 % d’habitants d’origine amazigh, et un total d’un peu moins de 30 % d’âmes se revendiquant de cette identité, notamment par les pratiques culturelles, et d’une langue en voie d’extinction. Or ces derniers souffrent depuis des décennies d’un statut de citoyens de seconde zone, avec la liste habituelle de ce que subissent les populations autochtones un peu partout sur Terre.
30 % des voix, ça ne se refuse pas. Tout au long de sa campagne, Akhannouch n’a pas lésiné sur ses promesses à la communauté, afin d’emporter ses suffrages. Mais un an plus tard, les espoirs soulevés sont à plat, s’est ému récemment le Congrès Mondial Amazigh (CMA), basé à Paris, dans un communiqué l’accusant de maintenir ainsi, envers eux un « racisme d’État », et une « politique anti-amazigh ».
Cette attitude méprisante envers les Amazighs est porteuse de graves dangers pour le pays.
Le Congrès Mondial Amazigh
« Le constat global est que, en dehors de promesses sans agenda, aucune mesure significative n’a été prise en faveur de la reconnaissance et du respect des droits des Amazighs », attaque d’entrée le communiqué, titré La Politique anti-Amazigh se poursuit. « Même le geste symbolique attendu de reconnaissance officielle de Yennayer, le Jour de l’An amazigh, comme journée de fête nationale n’a pas été fait. [Le] Tamazight [la langue amazigh du Maroc, ndlr] bénéficie du soutien gouvernemental uniquement dans sa version folklorisante et présentée comme une sous-culture de la culture arabe. »
Une loi, qualifiée de « scélérate » et « contraire à la constitution » par le CMA, bannissant la langue tamazight des documents administratifs et officiels (papiers d’identité, attestations diverses), n’a toujours pas été abolie. Les débats parlementaires, là aussi contrairement aux promesses d’Akhannouch, ne bénéficient toujours pas de la traduction simultanée.
Plus globalement, le CMA relève : « En janvier 2022, le chef du gouvernement annonce comme une grande nouvelle un budget de 200 millions de Dirhams (environ 20 millions d’Euros) pour financer un plan de mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe, mais ce budget est insignifiant comparé aux nombreux chantiers qui attendent d’être réalisés (enseignement, justice, administration, culture, médias, plan de rattrapage de développement pour les territoires amazighs marginalisés, etc). De fait, ce budget ne représente que 0,04% du budget de l’Etat dont la grande majorité est destinée à la promotion de la culture arabe et au développement du «Maroc utile», celui de la façade atlantique et des grandes villes arabes. »
Il ajoute : « Anecdote significative, le 14 juillet dernier, le chef du gouvernement M. Akhenouch, écrit dans un tweet au sujet de l’équipe marocaine féminine de football qui s’est qualifiée pour la phase finale de la prochaine coupe du monde, que «c’est la première sélection arabe qui se qualifie pour la coupe du monde». En qualifiant d’«arabe» cette équipe marocaine, M. Akhenouch montre une fois de plus que lui-même et son gouvernement, comme les précédents, défendent des intérêts étrangers, tout en ignorant et même en combattant la culture autochtone de ce pays. Cette attitude méprisante envers les Amazighs est porteuse de graves dangers pour le pays. Dès lors, pourquoi ce gouvernement serait-il légitime pour diriger le pays? »
On ne compte pas, non plus, pas d’avancée sur la spoliation des terres amazighs et de leurs ressources naturelles (dont l’histoire de la commune d’Imider constitue un exemple frappant) , ou la libération de prisonniers politiques.
Très occupé par un remaniement ministériel à l’horizon, révélé par le média Jeune Afrique ce 12 août, Akhannouch n’a semble-t-il pas eu le temps de répondre à ces accusations.
Les Amazighs, eux, continuent de souffrir.
Mais plus en silence.