C’est par le biais d’une tribune pour Fast Company d’Alisa Kane, « climate action manager » à la mairie, que la municipalité de Portland s’est exprimée sur son nouveau plan climat. Axe déterminant : « Les personnes de couleur et les résidents à faibles revenus sont en première ligne des effets du réchauffement. Et nous les avons trahis. C’est pourquoi nous avons décidé de changer d’approche. Une seule et même politique n’aura pas les mêmes effets selon les citoyens qu’elle touche, et aura tendance à exacerber les inégalités, en négligeant les besoins spécifiques des populations. »
Le débat « Fin du mois ou fin du monde ? » est au cœur des enjeux politiques de l’époque. Or les deux urgences, sociales et climatiques, sont tout aussi prégnantes et au même point de rupture (i celui-ci n’est pas clairement dépassé) l’une que l’autre. La démarche instaurée par la ville de 600 000 habitants, qui fut la première à s’engager à réduire les émissions de gaz à effet de serre dès 1993, montre une direction intéressante, peut-être même une porte de sortie, pour que ce dilemme ne condamne pas les pouvoirs publics à l’inaction.
L’action est résumée en 4 temps incontournables :
1. Connaître le contexte. C’est-à-dire reconnaître que les communautés défavorisées, toujours plus éloignées des centres urbains, disposent de moins de possibilités de transport en commun, de moins d’arbres et de parcs, de moins d’investissements publics et, en revanche, ont à assumer des temps de trajet plus longs et plus embouteillés, souffrent plus de la pollution de l’air, des îlots de chaleur urbains, et de l’insécurité dans les transports, que les habitants pouvant s’autoriser les loyers plus élevés du cœur des métropoles.
2. Changer le statut quo. Le nouveau plan climat fera désormais passer en priorité « les stratégies de réduction qui des émissions qui améliorent la santé, la prospérité et la pérennité des communautés défavorisées ».
Au passage, le terme employé en anglais est celui de « frontline communities », soit littéralement « communautés sur la ligne de front ». Le terme existe depuis un moment et, déjà explicite quant aux difficultés sociales, il nous paraît plus juste encore face au changement climatique et à la pollution. De fait, les effets délétères de notre mode de développement se font bien sentir petit à petit, en commençant par les plus pauvres, avant de nous atteindre, si nous perdons le combat, toutes et tous, à l’image des déluges de balles attendant les armées de l’histoire.
3. Créer du temps et de l’espace pour le travail. Comme le soutient Rob Hopkins, l’auteur en 2008 d’un Manuel de la Transition, dans son nouvel ouvrage consacré à la perte et au réveil de l’imagination collective dont on va vous parler dès la semaine prochaine, le temps et l’espace sont deux composantes essentielles de la créativité. Pour éviter de bâcler ses solutions comme un politique français, la municipalité prévoit donc d’instaurer un processus collaboratif, organisé autour de cellules locales incluant « tout le monde, des leaders de la justice climatique aux groupes industriels, en passant par les mouvements écologistes et la jeunesse » afin d’élaborer conjointement les actions nécessaires pour une plus grande équité, et donc efficacité, dans leurs décisions futures.
4. Poser les bonnes questions.
« Nos plans d’action précédents se focalisaient surtout sur le transport, responsable de 42 % des émissions de carbone de la ville« , décrypte la responsable de l’action climatique. « Nous avons poussé la marche, le vélo et les transports en commun. Ça nous semblait logique. Des milliards de dollars ont été investis dans l’amélioration du trafic routier, dans les infrastructures piétonnières et cyclables.
Le boulot a-t-il été fait ? Loin de là. Ces dernières années, la tendance s’est inversée et nos émissions augmentent à nouveau, légèrement, année après année, pour à l’heure actuelle une augmentation de 14 % par rapport à leur plus bas niveau de 2012. Quelque chose ne fonctionne pas, c’est clair.
Notre approche classique aurait consisté à nous fixer des objectifs plus agressifs encore dans, par exemple, l’usage du bus, pour réduire le temps passé en voiture, les embouteillages et la pollution de l’air. Mais si l’on veut y parvenir, nous devons nous poser les bonnes questions. En l’espèce : cette approche convient-elle aux besoins et à l’expérience des communautés de première ligne ?
Lq question n’est donc plus : « Comment pousser plus de monde à prendre le bus ? » mais « Qui ne peut pas prendre le bus en toute sécurité, et pourquoi ? » »
C’est en partant de cette question que l’équipe municipale, qui avait déjà développé les lignes, arrêts et horaires de bus, s’est demandé si les trajets pour se rendre de son domicile à l’arrêt le plus proche étaient eux aussi viables.
Leurs recherches constatent alors que « Les Noirs ont plus fréquemment que les Blancs à répondre à des contrôles d’identité de la police, et attendent en moyenne 32 % plus longtemps aux passages piétons avant que les conducteurs leur cèdent le passage », que « la moitié des morts par accident de la route de notre ville sont des piétons, et le manque de passages piétons sécurisés dans les quartiers défavorisés met leurs habitants, particulièrement les jeunes les handicapés, en péril » et que « il peut y avoir de vrais dangers dans l’utilisation des transports communs, notamment en raison de la misogynie, de l’homophobie et de l’islamophobie. Du harcèlement verbal à l’agression, les bus ne sont pas sûrs pour tout le monde. »
En réalité, s’attacher à résoudre les difficultés quotidiennes de vie des quartiers les plus pauvres pourrait bien bénéficier à tout le monde en repoussant, voire en annulant, la fin du monde. Certes, la politique de Portland n’en est qu’à ses débuts. Peut-être les résultats la démentiront-ils. Mais serait-il si stupide de ne pas essayer, ailleurs, de changer la donne pour, dans tous les sens du terme, nous faciliter la vie ?
Portland a choisi.