Ça n’est pas très intuitif, comme ça, mais il s’avère que virus, socialisme et comptes en banque s’entendent à merveille. Au Vietnam, du moins. Pourquoi là-bas ? Ce n’est pas le seul pays du monde à avoir un parti unique (en l’occurrence le Parti Communiste Vietnamien, ou PCV). Ce n’est certainement pas non plus le seul à avoir eu à gérer la pandémie de Covid, ni celui où l’on aimerait l’argent plus que partout ailleurs.
Pourtant, dans la république socialiste, les arnaques au Covid s’enchainent depuis deux ans, rapportent des millions de dollars et remontent au sommet de l’État.
Apprenons donc ensemble comment s’enrichir grâce au malheur des gens.
Comment gagner de l’argent grâce à la pandémie ?
À Hanoï, le premier moyen, assez banal il faut bien le reconnaître, a consisté à profiter des rapatriements en masse qui ont eu lieu lorsque la maladie a atteint le stade pandémique, au printemps 2020 (Mais si ! Souvenez-vous).. Chaque vol visant à rapatrier les citoyens et citoyennes du pays, alors que les frontières se fermaient les unes après les autres, a rapporté plusieurs milliards de dongs, la monnaie locale (un milliard de dongs vaut environ 42 000 euros) à quelques hauts-fonctionnaires éminents. C’est le ministère de la sécurités publique, par la voix de son porte-parole, le lieutenant-général To An Xo, qui le reconnaissait en juin dernier… en précisant que 2 000 vols environ, au total, ont été affrétés. L’astuce était de, tout simplement, « charger » indûment le prix des billets, puisque de toute façon les voyageurs n’avaient pas le choix : c’était ce vol, ou pas de vol.
L’affaire a mené en avril à l’arrestation, et à l’inculpation pour corruption, du directeur général du département consulaire au ministère des Affaires Étrangères, Nguyen Thi Huong Lan ; du directeur général de la compagnie aérienne An Binh Air Services et de l’agence de voyage Tourism Trading, Nguyen Dieu Mo ; puis, un mois plus tard, du vice-ministre des Affaires Étrangères, To Anh Dung, parmi d’autres hauts-fonctionnaires et responsables d’agences de voyage.
OK, au temps pour nous : ce n’était peut-être pas le meilleur plan. Trouvons plus fin.
Comment gagner encore plus d’argent grâce à la pandémie ?
Cette fois-ci, le crime est celui d’une arnaque aux tests.
En mars dernier, Phan Quoc Viet, le directeur général de la société Viet A Tech, a été arrêté pour avoir pratiquement doublé les prix des kits de tests au Covid-19 revendus aux hôpitaux et localités. Il a reconnu avoir envoyé environ 800 milliards de dongs à des partenaires de l’entreprise, sans doute pour acheter leur silence mais, préfère-t-il dire, en guise de « bonus ». Il a aussi admis avoir dû, pour mener à bien sa petite entreprise, corrompre plusieurs personnes, au prix moyen de 500 milliards de dongs par tête. Un scandale à 172 millions de dollars.
Parmi les heureux bénéficiaires, le ministre de la santé Nguyen Thanh Long et le maire de Hanoï, Chu Ngoc Anh, ainsi que Pham Cong Tac, vice-ministre des sciences et technologies, exclus, pour cette raison, du Parti au début de l’été, et inculpés à leur tour (l’expulsion constitue la sanction la plus forte qu’est susceptible de prendre le parti, après la réprimande, l’avertissement, et la mise à pied).
Les bénéfices, ça se partage, la réclusion, ça s’additionne.
Michel Audiard
Le communiqué officiel les accuse d’avoir « causé des pertes de revenus pour l’État, miné la lutte contre le Covid-19, provoqué des troubles sociaux et abîmé la réputation du Parti, du ministère de la santé et du ministère des sciences ».
D’autres cadres, dont des généraux et responsables du Centre de Prévention des Maladies, ont également été arrêtés et font l’objet d’inculpations de crimes pour leur implication dans le scandale Viet A.
Puisqu’on ne peut pas arnaquer ses propres citoyens en paix, allons donc voler les voisins, ont alors dû penser quelques bonnes âmes, notamment au sein de la compagnie low-cost de Vietjet Air et de l’Aviation Civile.
Comment continuer à gagner de l’argent grâce à la pandémie ?
Le nouveau scandale vise donc la Corée du Sud voisine et, là encore, les écornifleurs vietnamiens ont privilégie une méthode antédiluvienne. Voici donc un problème de mathématiques simple à résoudre :
Sachant que, en août dernier, 173 000 Sud-Coréens ont voyagé au Vietnam, représentant un tiers du total des visiteurs internationaux, d’une part ; et que, d’autre part, pour rentrer du Vietnam en Corée, il faut impérativement présenter un test négatif au Covid : comment se faire des millions de brouzoufs ?
Le tourisme à Hanoï, en pleine expansion, devrait rapport au pays entre 1,2 et 1,5 milliards de dollars en 2022, selon l’agence de presse vietnamienne VNA.
Solution : il suffit, lorsque le touriste innocent vous présente son test négatif, au moment de l’enregistrement, de prétendre qu’il est positif et de lui interdire l’accès à bord ; puis d’avoir un complice, qui l’abordera dans la foulée pour lui proposer son aide, et un nouveau test antigénique qui cette fois sera validé par la compagnie aérienne. Prix du test ? 2 millions de dongs par personne —1 million pour le test (qui coûte en pharmacie 150 000 dongs) et 1 million pour le service.
Comme l’écrit le Korean Times : « Des cas similaires ayant frappé d’autres voyageurs, les suspicions d’un lien entre le revendeur et la compagnie aérienne ont commencé à se faire jour. »
Ce mercredi, ce sont donc deux employés de l’ambassade qui se sont rendus aux bureaux de Vietjet Air à Hanoï pour signifier leur inquiétude et demander à ce que le comité directeur de la compagnie en appelle officiellement au ministère de la sécurité publique pour lancer une enquête.
La compagnie low-cost, toujours citée par le Korean Times, a répondu que l’agence de sécurité était déjà au courant du problème, mais qu’elle allait les relancer.
Comment perdre sa liberté grâce à la pandémie ?
Ce qui vous a peut-être frappé, à ce stade , c’est que si les escroqueries ont été nombreuses, les arrestations et sanctions, incluant les peines de prison, ne le sont pas moins.
C’est que le Parti Communiste Vietnamien est lancé depuis 2016 dans une très vaste opération de lutte contre la corruption, que le secrétaire général du Parti a baptisé « fournaise ardente » (« Dot Lo », en vietnamien) et qui, l’an dernier, a déjà conduit à l’emprisonnement de centaines de cadres du Parti ou directeurs d’entreprises.… voire à la peine de mort : le pays est l’un des plus friands de cette méthode, à la troisième place du monde, derrière la Chine et l’Iran. Pour le Washington Post, la république socialiste a beaucoup à y gagner : c’est l’économie en plus forte croissance de la zone, et ce d’autant plus que les si les investisseurs se détournent de plus en plus de la Chine, la région n’a rien perdu de son attrait pour les affaires.
Le chercheur Hai Hong Nguyen, de l’université du Queensland en Australie, comptait ainsi, fin 2020, dans un article paru sur le site du Think Tank East Asia Forum, un total de 11 700 enquêtes économiques, dont 1 900 pour corruption, incluant 1 400 suspects, et 800 membres du Parti condamnés. « Jamais, dans l’histoire du PCV, vieille de 91 ans, autant d’officiels ont été exclus du Parti ou emprisonnés pour des affaires de corruption », soulignait-il.
Donc finalement, non, pour vous enrichir grâce au Covid, évitez le coin.
On vous aura prévenus.