Postap a de nouveaux voisins, épisode 3

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L'équipe son de Ça commence par moi en visite au studio radio du Consulat Gaîté © Postap Magazine

Résumé de l’épisode précédent : L’équipe de Postap Magazine a de nouveaux voisins. Il s’agit du Groupe d’Action Néo Green, qui investit un lieu dans Paris, prochainement ouvert au public, pour faire, par l’action, la démonstration qu’un monde meilleur, et autre, est possible. Ils nous ont proposé un partenariat nous permettant d’y élire nos nouveaux bureaux. Seul problème : un mystérieux vortex y vibre d’une mystérieuse énergie.

consulat gaîté studio radio
L’équipe son de Ça commence par moi en visite au studio radio du Consulat Gaîté © Postap Magazine

 
« Faisons un point. »

Cheveux longs et barbe fournie, l’éditeur de Postap arborait la mine un peu trop enjouée de l’explorateur isolé sur une île déserte suffisamment longtemps pour avoir pris goût aux conversations avec les noix de coco. Sa santé mentale nous inquiétait. Progressivement, nous l’avions vu délaisser la bière pour le maté, repousser de trois jours, puis de deux semaines, puis finalement jusqu’aux « calendes grecques » ses projets de vacances comme d’écriture et murmurer, parfois, quand il pensait que personne ne l’entendait, que le sport, quand même, serait « bon à la santé… pour le tonus. » Parfois, le regard perdu devant la façade futuriste du Pullman Hôtel, sur laquelle donnait son nouveau bureau, il ajoutait même que ce serait « meilleur que les jeux vidéo, au réveil en tout cas ».

Autant dire que la situation était grave. Conséquence : la rédaction de Postap Magazine s’était dispersée aux quatre vents. Yann avait filé en Arles organiser une exposition, Marjorie n’avait lu qu’un livre en 48 heures. Cyprien, lui, parti chercher des vivres (criquets pour l’apéro, boîtes de haricots froids pour le plat, et un disque de blues en dessert, à écouter en se rappelant le bon vieux temps de la liberté, quand la rédaction n’avait pas encore de lieu fixe où travailler, et que seules nos semelles de vent nous guidaient parmi les cruels orages d’été parisiens), avait finalement choisi de prendre racine quelque part en Limousin.

« Oh, tu m’entends ? On fait un point ? », insista Xavier.

Pullman Hôtel extérieur
La façade extérieure du Pullman Hôtel © Postap Magazine

 
Julien ouvrit les yeux.

« Non… Pas de point… On en a déjà fait six cette semaine… S’il-te-plaît… », murmura-t-il pour lui-même.

Xavier, qui ne connaissait que deux manières de « faire le point », avait déjà disparu. La première, au bureau, consistait à poser une volée de questions —qui étaient en fait autant de notes pour lui-même— jusqu’à ce qu’un devoir parmi d’autres l’appelle ; la seconde, c’était en fin de journée, quand l’équipe multimédia pouvait s’échapper de sa cellule (leurs nouveaux voisins, l’équipe du Consulat Gaîté, un lieu « éphémère et itinérant prônant un art de vivre festif et responsable », avait accepté de les héberger contre de menus services, comme fabriquer un site internet sans connexion wifi). Cellule accueillante et pétillante, mais dont les griffes implacables, avec la technique du bien-être et du bonheur à volonté en infusion, en perfusion et en pression, s’étaient, il fallait bien le reconnaître, refermées sur eux.

Aussi le soir, autour d’une brochette d’agneau ou d’une escalope normande, demandait-il à la serveuse un petit stock de nappes en papier, sortait-il un feutre, et dessinait-il ses projets de site web, lesquels pour aboutir auraient nécessité des technologies qui restaient à inventer.

Julien cligna plusieurs fois des yeux, s’assit en position du lotus sur un fauteuil club si confortable que qui le testait de le quitter perdait tout espoir, et lança Skype sur un ordinateur dont la batterie apprenait à tester ses limites. Déformé par la piètre qualité de la connexion 4G, le visage de Cyprien s’afficha dans la fenêtre du logiciel de communication vidéo.

« Julien ! Ça va ?
– Cyprien ! Ça me fait plaisir de te voir ! Tu es où ?
– À Limoges. »

Contrairement à beaucoup de nos contemporains, quand Cyprien disait être à Limoges ou Julien à Clermont-Ferrand, ce n’était pas une image pour dire qu’ils étaient perdus au fin fond du monde. C’était vrai. Tous deux avaient grandi dans ces endroits dont le nom servait à faire trembler les enfants et en avaient, étonnamment, gardé de bons souvenirs. C’était peut-être bien la source de leur complicité qui jusqu’à présent n’avait jamais failli.

graffiti amour anarchie paris
Un graffiti dans le quartier de nos nouveaux bureaux #parisjuin2018 © Postap Magazine

 
« Cool. Et tu fais quoi ?
– Ben j’attendais de tes nouvelles. J’ai fini la playlist de l’été, et…
– Elle n’est pas en ligne ?
– Ben non.
– Et les tapis afghans ? Et l’interview de Commander X ? Et l’histoire de l’œuf à travers les âges ?
– Non plus.
– Mais pourquoi ?
– Ben c’est toi qui les mets en ligne… Justement, on se demandait…
– Ah oui, c’est vrai. »

Un long silence suivit. Le regard de l’éditeur avait dérivé, glissé de l’écran pour se poser sur le vortex du bureau. Une semaine plus tôt, des déménageurs étaient passés, avaient regardé la chose, fait « ouh la, ouh la la », proposé un devis à 4 000 €, facturé le déplacement, et depuis rien n’avait bougé.

Il posa l’ordi sur le canapé d’à côté, se leva et se dirigea vers le tétraèdre aux couleurs vacillantes. Y plonger était pour lui comme une drogue.

« Julien… ? »

Julien tendit le bras vers la porte dimensionnelle. Sa main se déplia, ses doigts s’allongèrent, tout son corps était attiré par la faille spatio-temporelle où, quand on plongeait, on ne savait jamais où l’on allait arriver… Dans un présent alternatif ? Dans un futur incertain ? Dans le même monde, mais où, comme lorsqu’on approche trop près d’un trou noir, le temps défilerait à vitesse accélérée pour tous les autres observateurs… ?

« Julien, non… »

Julien prit une grande inspiration. Il allait replonger… Une dernière fois… La dernière, promis. Après, j’arrête. Il regarda avec émotion les feuillages qui caressaient la fenêtre de son nouveau bureau. Le soleil de juin faisait briller leur vert d’un éclat qui lui rappelait quelque chose, mais quoi ? Il replia la main, serra le poing, la mâchoire, ferma les yeux, les rouvrit, se détourna. Toujours posée sur le canapé, la tête pixellisée et vacillante de Cyprien le regardait avec angoisse.

« Le fond vert…
– Hein ?
– Le fond vert, répéta Julien, où est-il ?
– Il est là !, hurla une voix à l’autre bout de la pièce.
– Il est là ? Vraiment ? »

Aidé d’un être au calme incassable, communément appelé « stagiaire », Xavier approchait en portant un fond vert de 2 mètres de côté, longue toile brillante tendue sur une armature de balsa.

Le fond vert.

La vidéo.

La possibilité de faire des vlogs, des débats, des chroniques, le tout en vidéo, en live, en différé, sur les réseaux sociaux, dans le magazine, partout.

Graffiti fraternité putain Paris
Un graffiti dans nos nouveaux bureaux #parisjuin2018 © Postap Magazine

 
Comme saisi par la grâce, Julien faillit tomber à genoux mais se retint. Heureusement, puisqu’il venait de s’emparer de l’installation pour finaliser son placement, au bon endroit, juste derrière les deux lampes 1 500 Watts indispensables à toute bonne incrustation numérique.

Et tout lui revint. Son accord un peu fou avec les nouveaux voisins, pour faire un site internet dans un bureau sans Internet et avec un développeur établi sur les rives du lac de Côme. Les émissions qu’il avait commencé à co-animer sur Gangsterre Radio, la radio des voyous. Et l’espoir que la rédaction puisse se doubler de rien moins qu’un studio télé. Un vrai studio télé, où passeraient chaque jour des dizaines d’invités et d’invitées potentiels (et potentielles), à savoir toute la bande des voisins : réfugiés et réfugiées, associations contre la surpêche ou pour le revenu de base, pour invisibles, collectifs engagés, think tanks qui ne confondaient pas « Pensée » et « Communication », maîtres en méditation, fabricants de fringues éthiques, et tant d’autres…

Une jeune femme passa par la porte sa tête blonde ornée de deux yeux aussi bleus qu’un poème de Mallarmé. (C’est-à-dire marron clair).

« Un volontaire pour les massages Thaï ? »

Julien tourna la tête vers elle, puis reporta son regard vers son nouveau dieu.

« Pas tout de suite », répondit-il. « Une prochaine fois, peut-être… »

Dans sa tête, une phrase sonnait et résonnait, vibrait, palpitait, gonflait, s’agitait et montait, montait, montait vers les cieux où attendent, sagement, les rêves que l’on vienne les réveiller :

« Antenne dans 5, 4, 3… »

Crédit épuisé football
Match nul, #france2018 © Postap Magazine

 
Quelle sera la première diffusion en direct de la rédaction ? Limoges vaut-elle la peine d’être vécue ? Les massages Thaï ont-ils effectivement les vertus qu’on leur prête ?
Pour le savoir, ne ratez pas notre prochain épisode de
Postap a de nouveaux voisins, la série d’été de Postap Magazine.