L’escargot géant d’Afrique, Lissachatina fulica ou, plus simplement, Achatine de son petit nom, peut mesurer jusqu’à 20 centimètres et peser quelques centaines de grammes. Il est assez moche, avec sa coquille pointue, aux raies blanchâtres et marronnasses, et son corps nuance tabac. Toutefois, PostAp Mag ne promeut pas le spécisme, et son apparence physique n’est absolument pas une raison pour l’exterminer.
En revanche, comme il est parti pour détruire le monde, allez-y liquidez tout ça. Et ne trainez pas. Car l’invasion a déjà commencé.
Regardez pas ça, c’est dégeulasse.
Il mange tout
À l’origine, Achatine réside au sud du Sahara. Il est bien connu dans de nombreux pays d’Afrique, notamment par les recettes, en nombre, qui tirent profit de sa chair longue et molle. Dans son habitat d’origine, il ne prospère pas outrageusement. Mais, comme souvent avec les petits bêtes, tout change quand il arrive sous d’autres latitudes, à la faveur de déplacements internationaux, de marchandises mal nettoyées, ou d’éleveurs amateurs qui les relâchent dans la nature. Là, pour Achatine, c’est la fête à la saucisse, la porte ouverte à toutes les fenêtres, c’est Versailles.
Gourmand, vu son poids, et amateur de plantes, sur lesquelles il n’est pas trop regardant (jusqu’à 500 variétés consommées), il dévaste les cultures et les fermes. Il apprécie également le plâtre, dont le calcium s’avère utile pour entretenir sa coquille. Il pond comme un porc, même si je n’ai rien contre les porcs : la maturité sexuelle est atteinte à 6 mois et, à partir de là, il peut pondre 5-6 fois par an, à 200 œufs par ponte… De petits escargots qui deviendront grands (enfin, géants), et donc matures sexuellement six mois plus tard. Un individu vit 3 à 5 ans dans la nature, jusqu’à 10 ans en captivité. Faites le calcul.
Et sinon, il transmet la méningite : si vous en voyez, n’en touchez pas, n’en mangez pas : il peut trimballer des vers microscopiques qui, une fois ingérés, aiment remonter dans le cerveau, ou les globes oculaires. On peut attraper cette maladie en s’en délectant, en le touchant. Lui, ou ce qui aura été contaminé auparavant par son mucus, comme des végétaux (crus) ou de l’eau. Par exemple, dans certains cas avérés, en buvant à un tuyau d’arrosage. Il est toutefois sans risque d’en consommer s’ils proviennent de l’élevage : le parasite qui transmet la maladie ne peut lui-même être transmis à l’escargot que par des rongeurs.
À Saint-Petersbourg, cette entreprise de traitement des eaux se vante de les utiliser pour détecter la pollution de l’air dans ses stations d’épuration.
« De la poudre aux yeux », selon Greenpeace.
Il est classé deuxième sur la liste des « 100 pires espèces invasives » par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature. Enfin, il est résistant : si la température tombe en-dessous de 20°C, il s’enterre aussitôt pour hiberner, plusieurs mois s’il le faut.
Autrement dit, pour reprendre les mots de Ash dans Alien : « C’est un parfait organisme, et sa perfection structurale n’a d’égale que son hostilité. J’admire sa pureté. Un survivant qui n’est pas souillé par la conscience, le remords ou les illusions de la moralité. »
Il est partout
Le Schwarzenegger des gastéropodes résiste donc à de nombreux climats, même s’il préfère les plus chauds (ce serait donc d’autant plus embêtant pour nous si la planète se réchauffait). Pour l’instant, sa terre d’élection, en dehors de son territoire naturel, c’est la Floride. On l’y a identifié une première fois dans les années 70. On s’en est débarrassé. Il est revenu en 2011. 23 millions de dollars, et dix ans plus tard, l’État côtier se félicitait de l’avoir enfin éradiqué. Et un an plus tard, cet été, qui voilà ? C’est moi, le gros pode !
La situation a poussé les autorités à instaurer la quarantaine sur un comté entier. Attention : pas la quarantaine-quarantaine. Il n’est pas interdit de quitter la région. Simplement d’échanger des plantes, ou tout produit susceptible d’être contaminé par ce mollusque obèse et gluant.
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La FDA (Food and Drugs Administration) est confiante dans cette nouvelle campagne d’éradication. Mais le combat va durer des années. L’ennemi est retors, comme l’écrit CBS : « Les escargots sont mobiles —les spécialistes préviennent qu’il peut « s’attacher aux véhicules et aux machines », mais aussi aux déchets, pour « parcourir de longues distances » —et résistants, avec la capacité de survivre une année, en demeurant inactifs, sous terre ».
En Inde, on organise des compétitions locales, pour sensibiliser les villages. Là-bas, les invasions peuvent prendre un tour tragique, pour les petits cultivateurs, nombreux dans le Kerala où Achatine a élu domicile, voilà une décennie.
Il semble aussi difficile de se débarrasser des escargots que de ce ton compassé et abrutissants affectionné par France TV.
En Suisse, où la créature a fait son apparition en septembre près d’un parcours de santé, la commune touchée prenait les choses un peu plus à la cool, écrivant simplement sur son site : « Les habitants et habitantes de Saxon sont priés de rapporter à l’administration communale les individus qu’ils ont trouvés ». La Suisse, quoi.
Désormais, le voici au Venezuela. Dans deux états de l’ouest du pays, où il prospère depuis début novembre, après avoir pointé ses antennes au Maracaibo. L’AFP a assisté à une campagne de collecte du gros bébé : sur un seul site, 437 individus ont été ramassés en deux heures. Et un journaliste serait mort d’ennui durant l’opération.
Et le tuer tue
Bien sûr, comme dans tout bon film d’horreur, les scientifiques s’interrogent : comment se débarrasser du monstre ? Les produits chimiques peuvent être efficaces, mais au détriment du reste de la faune et de la flore. Des chiens sont dressés pour le traquer, mais pas le chasser, rapport à la méningite. La solution la plus simple serait de lui trouver un prédateur. Hawaï a essayé, et introduit un escargot carnivore, le terrible Euglandina Rosea, qui chasse et suit les autres escargots littéralement à la trace (de bave —ce n’est pas un jeu de mot, c’est exactement comme ça qu’il procède, car il est capable d’en analyser la composition chimique). Résultat : à Hawaï, il a remplacé Achatine… Puis s’est mis à traquer tous les autres. Pour l’île du Pacifique, c’est un véritable drame : l’extinction d’espèces entières, uniques, de mollusques, désole la population. Mêmes causes, mêmes effets : la Polynésie française ou l’île Maurice peuvent témoigner des ravages causés par le Jeffrey Dahmer des gastéropodes.
Dans les Philippines, au début des années 1980, l’introduction d’un ver de terre de Nouvelle-Guinée, Platydemus Manokwari, a donné de bons résultats. Mais lui-même n’a pas l’estomac dans les talons (enfin, si, vu que c’est un ver et que ses talons, c’est son estomac, mais vous voyez l’idée).
En France, ce ver plat, le platelminthe comme on l’appelle ici, a été aperçu une première fois, début 2014, dans une serre du Jardin des Plantes de Caen. « Il va manger d’abord tous les escargots, puis après tout ce qui se trouve sur le sol et qui est mou », s’inquiétait alors Jean-Lou Justine, spécialiste du prédateur au Muséum d’Histoire Naturelle de Paris.
Il s’agissait, heureusement, d’un seul individu : la menace du platelminthe a alors pu être contenue.
Toutefois, à l’heure où l’escargot géant menace la Terre, tout n’est pas négatif. Ainsi, sa bave, poétiquement surnommée « l’ambre africain », peut atteindre 60 000 dollars la tonne, un record selon Mucus Pro, les spécialistes polono-ukrainiens de la bave d’escargot, qui vous vendront d’ailleurs tout ce qu’il faut pour en produire à grande échelle. Le « slime », comme l’appellent les Américains, est en effet utilisé dans certains cosmétiques. Voire vendu tel quel comme crème de jour, même si les dermatologues, en l’absence d’études concluantes dans un sens ou dans l’autre, en déconseillent plutôt l’usage, possiblement irritant, probablement inutile.
Or, on le sait : les humains aiment la vie, mais ils aiment surtout l’argent. L’avenir s’annonce donc radieux, quoiqu’un peu baveux.