Ultra coelos
Autrefois, quand l’essaim fougueux des premiers rêves
Sortait en tourbillons de mon coeur transporté ;
Quand je restais couché sur le sable des grèves,
La face vers le ciel et vers la liberté ;
Quand, chargé du parfum des hautes solitudes,
Le vent frais de la nuit passait dans l’air dormant,
Tandis qu’avec lenteur, versant ses flots moins rudes,
La mer calme grondait mélancoliquement ;
Quand les astres muets, entrelaçant leurs flammes,
Et toujours jaillissant de l’espace sans fin,
Comme une grêle d’or pétillaient sur les lames
Ou remontaient nager dans l’océan divin ;
Incliné sur le gouffre inconnu de la vie,
Palpitant de terreur joyeuse et de désir,
Quand j’embrassais dans une irrésistible envie
L’ombre de tous les biens que je n’ai pu saisir ;
Ô nuits du ciel natal, parfums des vertes cimes,
Noirs feuillages emplis d’un vague et long soupir,
Et vous, mondes, brûlant dans vos steppes sublimes,
Et vous, flots qui chantiez, près de vous assoupir !
Ravissements des sens, vertiges magnétiques
Où l’on roule sans peur, sans pensée et sans voix !
Inertes voluptés des ascètes antiques
Assis, les yeux ouverts, cent ans, au fond des bois !
Nature ! Immensité si tranquille et si belle,
Majestueux abîme où dort l’oubli sacré,
Que ne me plongeais-tu dans ta paix immortelle,
Quand je n’avais encor ni souffert ni pleuré ?
Laissant ce corps d’une heure errer à l’aventure,
Par le torrent banal de la foule emporté,
Que n’en détachais-tu l’âme en fleur, ô Nature,
Pour l’absorber dans ton impassible beauté ?
Je n’aurais pas senti le poids des ans funèbres ;
Ni sombre, ni joyeux, ni vainqueur, ni vaincu,
J’aurais passé par la lumière et les ténèbres,
Aveugle comme un Dieu : je n’aurais pas vécu !
Mais, ô Nature, hélas ! ce n’est point toi qu’on aime ;
Tu ne fais point couler nos pleurs et notre sang,
Tu n’entends point nos cris d’amour ou d’anathème,
Tu ne recules point en nous éblouissant !
Ta coupe toujours pleine est trop près de nos lèvres ;
C’est le calice amer du désir qu’il nous faut !
C’est le clairon fatal qui sonne dans nos fièvres :
Debout ! Marchez, courez, volez, plus loin, plus haut !
Ne vous arrêtez pas, ô larves vagabondes !
Tourbillonnez sans cesse, innombrables essaims !
Pieds sanglants ! gravissez les degrés d’or des mondes !
Ô coeurs pleins de sanglots, battez en d’autres seins !
Non ! Ce n’était point toi, solitude infinie,
Dont j’écoutais jadis l’ineffable concert ;
C’était lui qui fouettait de son âpre harmonie
L’enfant songeur couché sur le sable désert.
C’est lui qui dans mon coeur éclate et vibre encore
Comme un appel guerrier pour un combat nouveau.
Va ! nous t’obéirons, voix profonde et sonore,
Par qui l’âme, d’un bond, brise le noir tombeau !
À de lointains soleils allons montrer nos chaînes,
Allons combattre encor, penser, aimer, souffrir ;
Et, savourant l’horreur des tortures humaines,
Vivons, puisqu’on ne peut oublier ni mourir !