À force de creuser sa terre et d’exploiter son sous-sol, l’île de Java s’enfonce, par endroits en-dessous du niveau de la mer, plus rapidement que n’importe quelle autre zone émergée (jusqu’à 25 centimètres par an pour le nord de Jakarta, la capitale du pays, surnommée par la BBC « la ville qui coule le plus vite du monde »).
Pour prévenir les risques d’inondation, le gouvernement indonésien s’est donc engagé dans un méga projet consistant à bâtir une digue de 10 kilomètres de long sur sa côte nord. Astuce : comme il serait trop simple et trop triste de seulement protéger la population sans gagner de l’argent au passage, la digue n’est en réalité que la plus petite partie d’un projet constitué, pour l’essentiel, par la construction d’une autoroute de 27 kilomètres qui reliera Demak (et ses deux zones industrielle, celle de Kendal et celle, en construction, de Jateng Sayung) au port de Semarang et à ses 98,5 milliards de roupies (environ 5,7 milliards d’euros) de revenus annuels.
Ainsi, non seulement l’industrialisation et l’exploitation du sous-sol indonésien, responsables de la liquéfaction du sol sur place, ne pourront que s’accélérer, mais l’autoroute à 557 milliards de dollars (selon Project Pipeline, une plateforme du G20 « numérique gratuite, qui permet aux gouvernements de présenter leurs projets d’infrastructures publiques à un réseau mondial d’investisseurs » — ça ne s’invente pas et, si vous ne savez plus quoi faire de vos bitcoins, à défaut de nous soutenir sur Tipeee, vous pouvez jeter un œil par ici)… L’autoroute à 557 milliards de dollars, disions-nous, va aussi traverser 46 hectares de mangroves, un écosystème humide qui, précisément, constitue en soi une protection contre les inondations et la montée des eaux (dixit la Banque Mondiale).
Qu’à cela ne tienne : les mangroves, on les mettra ailleurs, a expliqué en substance le ministère des Travaux Publics.
C’est dans ce contexte que, cette semaine, le chercheur en biologie marine Rudhi Pribadi a contacté le site écologique MongaBay pour donner l’alerte et rappeler que « on ne peut pas simplement déplacer des mangroves et espérer qu’elles continuent à pousser. Ça ne fonctionne pas comme ça. »
Il ne fait d’ailleurs, ici, que pointer des éléments déjà bien connus : les mangroves sont un écosystème encore mystérieux pour une bonne part ; on ne sait pas en ; créer, leur existence repose sur la réunions de critères complexes et fragiles. Il remarque d’ailleurs que nos amies tropicales le long de la côte nord de Java ont déjà été saccagées par des projets d’infrastructure dans le passé et que, jusqu’à présent, tous les efforts menés pour les ramener à la vie se sont révélés vains. Pour couronner le tout, précise-t-il, « l’érosion des côtes et l’affaissement des sols accentuent la perte des mangroves. »
On récapitule : l’industrialisation et l’exploitation de l’environnement ont ravagé les sous-sols indonésiens, dont l’île principale s’enfonce en-dessous du niveau de la mer à grande vitesse. Pour éviter les inondations, on va donc ajouter une digue à une autoroute conçue pour intensifier l’industrialisation et l’exploitation de l’environnement et qui détruira des mangroves, qui protègent des inondations, et qui meurent du fait de l’affaissement de l’île et de l’industrialisation et l’exploitation de son sous-sol.
L’Indonésie pourrait donc craindre le pire mais, heureusement, contacté par MongaBay, Widi Hartanto, le directeur de l’agence environnementale locale, a assuré que ses services « surveillaient le développement du projet d’autoroute pour réduire au maximum ses conséquences sur l’environnement, et en particulier sur les mangroves. »
Liens utiles :
– Les ravages de la ruée vers l’étain, un article du Temps consacré à la mort écologique de l’île voisine de Bangka (en français),
– Évaluation économique des mangroves : une étude empirique dans le village de Timbulsloko, Sayung, Demak, Indonésie, une étude de T. Pardana et al. parue en 2018 dans IOPScience (en anglais),
– Les chercheurs démontrent que restaurer les mangroves nous protègera des inondations, une étude de l’université de Santa Cruz pour Scientific Reports décryptée par le Daily Geek Show (en français).