La pop coréenne s’éloigne de la Chine

La K-pop, en passe de devenir le genre le plus populaire sur Terre, s'éloigne de son marché de prédilection, la Chine. La raison : une économie dictatoriale n'est pas une économie fiable pour ses partenaires. Pas même pour ses stars.

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Seoul K Pop marché Chine
© NASA

Peu d’armes se sont avérées plus efficaces, pour conquérir le monde, que la pop coréenne, plus connue sous le nom de K-pop.

La K-pop, ça n’est pas que d’la pop

Remontant à la libération (de la dictature sud-coréenne, soit le début des années 1990), le genre a achevé de se faire connaître sur les écrans du monde en 2012, quand le clip “Gangnam Style” de PSY devint la première vidéo à atteindre le milliard de Vues sur YouTube (elle a même atteint, au moment d’écrire ces lignes, 4,5 milliards).

Vous en reprendrez bien un bout ?

Un succès qui n’a rien d’une anomalie. Le phénomène K-pop s’exporte d’abord dans la zone asiatique, mais sa renommée est mondiale. Emblème, autant que vecteur, de la Hallyu —le soft-power sud-coréen, en croissance exponentielle—, le genre musical rapporte environ 10 milliards de dollars américains par an au pays.

Alors que sa figure de proue majeure, le groupe BTS, ayant épuisé tous les sursis possibles, s’apprête à entamer un service militaire obligatoire de deux ans (le pays est toujours officiellement en guerre contre son voisin du nord), les économistes se demandent comment Séoul absorbera le choc que va générer l’appel des six jeunes gens sous les drapeaux : à lui seul, BTS représente un tiers des revenus générés par la K-pop aux États-Unis. Leur concert au stade olympique de Séoul en mars 2022 a attiré, en plus des 45 000 spectateurs quotidiens pendant trois jours, 2,5 millions de fans en ligne de par le monde.

“Dynamite”, le premier titre en anglais de BTS, qui les a propulsés sur la scène internationale.

Aujourd’hui, le genre musical entêtant et entraînant s’engage dans une mutation économique profonde, dont les origines, pour une part, s’avèrent géopolitiques et, pour une autre part, remontent aux agissements totalitaires du Parti Communiste Chinois (PCC).

Missiles, rage et refrains

La K-pop, et les exportations sud-coréennes avec elle, a pris un premier coup sur la tête en 2016. À ce moment-là, en juillet, le pays annonce sa décision d’avoir recours, pour sa défense antiaérienne, au système antimissiles américain Terminal High Altitude Area Defense (Thaad).

Pékin ne l’a pas hyper bien pris. Les mesures de rétorsion n’ont pas tardé, d’abord contre le groupe Lotte, qui avait eu le tort de céder au ministère de la Défense l’un de ses terrains pour accueillir les premières batteries anti-missiles, début 2017. Conséquence : “Lotte Shopping disposait de 110 commerces en Chine en 2016. 74 d’entre eux se sont vus notifier une suspension d’activité. La raison invoquée fut celle d’un non respect des règlementations locales. Mais l’interdiction d’exercer a duré plus d’un an, car les autorités chinoises refusaient de procéder aux visites d’inspection qui auraient permis leur réouverture”, raconte le Korea JoongAng Daily.

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L’industrie du divertissement a elle aussi pris cher. Un article de recherche pour le compte du forum ASAN relève :

“Une certaine “interdiction des activités artistiques coréennes” a apparemment été décrétée, verbalement, par l’Administration d’État de la Radio, du Film et de la Télévision. Comme pour le tourisme, les tourneurs et les diffuseurs de contenus ont été informés que ne pas y obéir mènerait à des amendes ou des révocations de license.

Bien que le détail des instructions soit inconnu, l’interdiction semble avoir pris un tour des plus larges : les nouvelles émissions, et les films coréens, n’ont plus reçu d’approbation pour leur sortie, la diffusion en streaming de musique coréenne, d’émissions de télévision et de film, est devenue impossible, et les stars de la musique, depuis le groupe pop EXO jusqu’au soprano Jo Sumi, se sont vus interdire de représentation. Fans comme acteurs ont signalé des ruptures de contrats, des refus de visas. Les développeurs de jeux vidéo ont également été dans l’impossibilité de recevoir des licences pour leurs nouveaux titres, à partir de mars 2017, perdant ainsi l’accès au plus grand marché du jeu au monde.”

La crise du Thaad résumée par le Hindustan Times, sans dramatisation inutile du tout.

Extension du domaine de la censure

 En 2021, nouveau coup dur pour les stars coréennes —et asiatiques, d’ailleurs.

À ce moment-là, le Parti Communiste Chinois se trouve un nouvel ennemi intérieur, qui ne demanderait qu’à détourner sa jeunesse d’un sain nationalisme, militariste et obsessionnel : la “culture de la célébrité”. Influence étrangère, “féminisation” des garçons, évasion fiscale et, d’une manière générale, “culture toxique” sont quelques-uns des reproches faits par les autorités aux pop-stars en tous genres. Justifiant une nouvelle vague de répression, de prise de contrôle en fait, à coups de contrôles fiscaux, de censure et tout simplement de disparitions mystérieuses.

Les cosmétiques, les influenceurs, les communautés de fans : rien n’est épargné, dans un effort pour “poursuivre une répression musclée dans l’intérêt de la jeunesse”, selon la Commission Centrale d’inspection de la discipline du PCC, citée par La Dépêche.

Dernier épisode en date : la disparition soudaine, pour plusieurs mois, d’Austin Li, l’absolue mégastar des influenceurs beauté. Le jeune homme aux 150 millions de followers, qui s’est toujours gardé de politique, s’amusait de découvrir un jour en direct un gâteau en forme de tank. C’était, bien qu’il l’ignorât probablement, le jour anniversaire des manifestations de Tian’anmen. Le live fut aussitôt interrompu et, trois mois durant, sans la moindre explication, Austin s’évanouit de tout écran et tout réseau. Son incroyable histoire est racontée dans un article fleuve de Rest of World, pour celles et ceux que l’anglais ne rebute pas.

Et ici, en Story, par Brut.

De cet effort de répression massive, la K-pop ne sort pas indemne. Surtout, les acteurs du secteur eux-mêmes se détournent du marché chinois, longtemps leur principal débouché : quand toute une économie peut s’évanouir en fumée, en fonction des soudains desideratas du parti unique au pouvoir, voire d’un seul homme… Mieux vaut envisager d’autres pistes pour se développer. De 36,1 % des ventes internationales de K-pop en 2017, la part de la Chine est tombée à 12,6 % en 2020.

La K-pop se referme

Et le genre fait même évoluer jusqu’à son système de recrutement, constatait cette semaine une enquête signée Park Ji-won pour le Korea Times. Par principe, jusqu’ici, de nombreux groupes incluaient des membres des pays environnants, avec une prédilection pour la Chine, justement pour séduire ce marché. Ainsi, 31 % des formations dites de la “troisième génération”, entre 2012 et 2017, accueillaient ainsi un membre de Chine, de Hong Kong, de Macao, de Taïwan, ou dont la langue maternelle était le mandarin ou le cantonais. Pour la quatrième génération, celle qui court aujourd’hui, c’est 14 % seulement.

Hybe, le label de BTS, n’a même pas inclus la Chine dans les castings de son futur girl band. Et cette année, les MAMA Awards (“Mnet Asia Music Awards”), l’événement qui en récompense les stars les plus talentueuses, les plus populaires et les mieux vendues, se tiendra au Japon… Depuis 2012, c’était un privilège réservé à Hong Kong.

Cité par le Korea Times, Lee Gyu-tag, professeur associé en études culturelles à l’université George Mason de Corée du Sud, explique : “l’effort des industries de divertissement pour réduire leur dépendance face à la Chine est à relier la la situation politique dans le pays. La Chine a fait de la Corée un test. Pour renforcer la dictature, il est essentiel de contrôler le contenu culturel qui entre dans le pays depuis l’extérieur.”

La Chine face à la culture de la célébrité, telle que vue par Ariang News, le réseau anglophone de la Korea International Broadcasting Foundation

Et le phénomène s’amplifie

Le récent triomphe de Xi Jinping au XX° congrès du PCC ne rassure pas l’industrie musicale et de divertissement… Ni aucune industrie d’ailleurs. Les marchés ont réagi fraîchement à sa récente démonstration de pouvoir, et à la concentration de tous les pouvoirs entre ses mains : Alibaba, la plus symbolique sans doute des multinationales chinoises, atteignait son plus bas niveau à la Bourse de New York ce lundi. Et à Hong Kong, les résultats ne sont pas meilleurs.

On l’a compris : du point de vue des acteurs économiques, le problème n’est pas moral. Mais c’est la question de la fiabilité qui est posé. Du jour au lendemain, l’on peut décréter tel produit, telle marque, voire, comme ici, un secteur entier de l’économie (mais aussi des comportements, des goûts, des mots), non conformes à l’idéologie du Parti et le ou les soumettre à la plus sévère des répressions, en saisir les revenus, en arrêter jusqu’aux plus hauts représentants.

La spectaculaire arrestation de l’ancien leader chinois, Hu Jintao, sous l’œil goguenard de Xi Jinping, qui a fait le tour du monde, n’a rassuré ni les défenseurs des droits de l’homme… ni les investisseurs.

Voilà pourquoi les maisons de disque accélèrent le développement international de la K-pop, toujours plus appréciée en Europe aux États-Unis, au détriment du marché chinois, qu’il leur faut délaisser. Elles n’ont, toutefois, pas complètement renoncé à séduire le pays de Tonton Mao : leur nouvelle stratégie consiste désormais à produire des groupes localement, composés d’abord de membres du territoire ciblé, et non plus de Coréens. C’est beaucoup moins risqué politiquement, et surtout commercialement.

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