« And they brought down the Sun », soit en français « Et ils abattirent le soleil ». Ce titre éminemment « Postap » donné à l’exposition de Vincent Fouquet, également connu sous le nom d’ « Above Chaos » (« au-dessus du chaos », littéralement) qui se tient en ce moment au Black Dog à Paris, ne pouvait que retenir notre attention. Dessins à l’encre de Chine et photomontages déroutants, ces reflets justes, à notre sens, d’une époque trop souvent vécue comme une longue perdition, un lent abandon de notre espoir dans l’avenir, ont touché notre cœur suffisamment en profondeur pour que nous décidions de rencontrer leur auteur. Nous voulions savoir ce qui pouvait mener cet artiste brestois de 29 ans à plonger droit dans les déchirures des âmes et des corps. Comment souvent, l’homme derrière l’artiste est accueillant et affable. Rencontre avec un passionné d’art et d’imaginaire.
Above Chaos en interview
Que signifie Above Chaos ? Pourquoi ce nom ?
Pour bien percevoir quelque chose, une idée, un concept, pour bien distinguer ses contours et sa globalité, il faut prendre du recul, de la hauteur. C’est bien plus compliqué de modéliser les choses quand on les « vit » ou qu’on les envisage de l’intérieur. Dans mes créations, j’essaye de développer des thématiques ou éléments qu’un grand nombre de personne pourrait trouver sombres et/ou chaotiques. Et j’affectionne beaucoup la précision, que ça soit dans le dessin en lui-même, mais aussi la précision anatomique, historique, symbolique, etc. Ce qui me fait faire beaucoup de recherche en amont de la création, donc prendre une sorte de recul sur le sujet.
Dans mes travaux j’aime mélanger des opposés ; la vie / la mort – la lumière / l’obscurité – l’homme / l’animal – l’homme / le dieu – le réel / l’imaginaire ; non pas « en prenant parti » d’un côté ou de l’autre, mais justement en faisant une sorte de mélange de ces contraires.
Je n’aime pas catégoriser. Je n’aime pas les simplifications manichéennes d’une situation. L’être humain tend à catégoriser et simplifier ses semblables comme « amis » ou « ennemis ». On ne le voit que trop bien dans la politique, dans le sport et les supporters, dans les religions, le véganisme… Les médias contribuent beaucoup à cela aussi. C’est plus vendeur et divertissant pour eux de présenter le monde comme des films hollywoodiens.
En ceci, je ne pense pas que nous vivions dans une période « de chaos » ou « d’ordre », mais la façon qu’a l’humain de se tirer une balle dans le pied depuis l’avènement d’Internet et des médias est sûrement contre-productive et chaotique.
Au vu de vos œuvres, on pourrait qualifier votre travail de « sombre ». Ce qualificatif vous convient-il ? Pourquoi… ou pourquoi pas ?
Je ne sais pas si mon travail est sombre. Le grand public, baigné dans la culture judéo-chrétienne depuis des siècles, assimile sans réfléchir les thématiques de mort à des tabous et des non-dits. Il en est de même pour des symboliques animalières (serpent, corbeau…) ou païennes, catégorisées comme maléfiques par ces religions, et donc « négatives et sombres ».
Je travaille dans ces problématiques. J’essaye d’opposer et associer la « sombreur » de certains éléments, de certains points de vues, en jouant sur les symboliques établies, avec la « luminosité », d’autres. D’amener de la beauté et de la grâce dans des thématiques sombres, et d’amener des dimensions sombres dans des thématiques lumineuses. En ceci, je pense réducteur de qualifier mon travail de seulement sombre.
Le Black Dog, où vous exposez, est un lieu mythique de la culture underground à Paris. Est-ce important pour vous d’exposer à cet endroit ?
Oui c’est important, surtout pour une première exposition à Paris. C’est un lieu underground mais populaire. J’ai collaboré avec un certain nombre de groupes de musique internationaux et populaires dans le public qui fréquente le Black Dog. C’est aussi un lieu assez culte en effet dans le milieu à Paris, et même en France, et des grands noms de l’art underground y ont déjà exposé, comme Giger, Seth Anton, Nihil, Akiza ou Trëz. C’était donc un très bon lieu pour mettre un premier pied à Paris.
Je vois que vous avez exposé au Hellfest. Musicalement, vous êtes metal à fond ?
Non. D’une manière générale, je ne me sens pas « métalleu », ni « gothique » d’ailleurs. J’écoute du metal oui, mais pas que. Mes écoutes sont en fonction de mon état d’esprit et de l’ambiance du moment. Mes écoutes vont de Kraftwerk à Meshuggah, en passant par Denez Prigent et Darkspace.
Vous revendiquez des influences aussi bien classiques, comme Doré ou Rembrandt, que modernes et alternatives, comme Druillet ou Giger (même si ces derniers ont fini par être plus largement reconnus)… Quel est votre parcours artistique ?
Je suis autodidacte en art graphique. J’ai eu un cursus classique en école de musique pendant 10 ou 15 ans.
J’aime piocher mes influences à droite à gauche. Giger et Druillet ont apportés des atmosphères et univers tellement impressionnants et inspirants… Mais en même temps, rien n’est plus épique qu’une illustration de Doré, et rien est plus abouti qu’un clair obscur de Rembrandt.
L’exposition And they brought down the sun se tient jusqu’au 2 juin 2018 au Black Dog, 26 Rue des Lombards, 75004 Paris. Vous pouvez également suivre le travail de Vincent Fouquet / Above Chaos sur Facebook.