En 2015, la sonde New Horizons survolait Pluton, nous gratifiant de la première image haute qualité de ce corps céleste (elle continue son périple, et se trouve actuellement dans la ceinture de Kuiper —un colossal champ d’astéroïdes, tout là-bas au fond et très vieux).
Mais l’image de Pluton n’était qu’une première donnée et, d’un point de vue scientifique, relativement anecdotique. Les astronomes nous prévenaient alors qu’il faudrait plusieurs années avant de tirer des enseignements des 6 gigabits de données transmis par les trente kilos d’instruments d’observation qu’embarquait l’engin.
La première conclusion est tombée en fin de semaine dernière sur Nature.
Plutôt que la vulgariser nous-mêmes, traduisons le résumé (« abstract ») de l’étude, écrit par les auteurs eux-mêmes, une équipe américaine menée par Kelsi Singer, un planétologue attaché à New Horizons dès l’origine du projet.
Car c’est un avis subjectif, mais nous pensons que notre monde produit peu de documents aussi poétiques que les résumés d’études spatiales :
« Les images et les données envoyées par New Horizons montrent que la surface de Pluton varie en âge, allant du très ancien, des endroits constellées de cratères, au très jeune, où le sol est dépourvu de telles traces d’impact. L’une de ces régions est dominées par d’énormes pics aux flancs arrondis. Des caractéristiques que l’on n’observe nulle part ailleurs dans le système solaire, ou du moins de ce que nous en connaissons.
Nous analysons ici la géomorphologie et la composition de ces caractéristiques et concluons que ces terrains ont été remodelés par des procédés cryovolcaniques, d’un genre et d’une échelle jusqu’ici uniques à Pluton.
La création d’un tel terrain requiert de nombreux sites éruptifs, et un large volume de matière (supérieur à 104 km3) afin de former ce que nous estimons être de nombreux dômes, hauts de plusieurs kilomètres, certains d’entre eux fusionnant pour constituer des plateaux complexes. L’existence de ces traits suggère que la structure interne de Pluton, et son évolution, rendent possible soit une rétention de chaleur, soit tout simplement une plus grande quantité de chaleur que ce qui était anticipé, ce qui a permis à des matériaux riches en glaces d’eau de travailler jusque tard dans son histoire. »
Des volcans de glace ?
Oui, des volcans de glace, c’est-à-dire à la fois faits de glaces, et crachant de la glace, comme vous l’expliquera mieux que nous Wikipedia.
Les cratères évoqués dans la première partie du résumé sont un indicateur constant, et fiable, de l’âge d’un sol. Peu après la formation de la Terre, tout le système solaire a subi le « grand bombardement tardif » : des corps célestes lointains ont été éjectés de leur zone d’origine jusqu’à chez nous, probablement suite au passage en résonance orbitale des deux géantes gazeuses Saturne et Jupiter.
Notre planète fut constellée de cratères de la sorte, mais la géologie très active de la Terre les a fait disparaître de l’environnement —à l’inverse de la Lune par exemple, un astre mort et figé dès cette époque.
À l’inverse, et à rebours de ce qui était attendu, Pluton a donc connu la vie (non pas au sens biologique, bien entendu, mais géologique, au sens d’événements, de bousculements, de nouveauté)… Et cela grâce à des volcans de glace… là où la glace ne devrait pas exister.
Beauté d’hiver
Avec une température maximale de -215° C et une pression atmosphérique de 0,015 millibar (70 000 fois moins que chez nous), aucun glace d’eau ne devrait exister, et encore moins perdurer, même dans les sous-sols du corps céleste. Comment a-t-elle pu alors s’écouler des millénaires durant, au point de modifier la surface, et créer toute une région de cryovolcans ? Le mystère est entier, et les recherches continuent même si, en 2019, un premier papier suggérait la présence d’un océan liquide, souterrain, chauffé par la radioactivité interne et isolé du froid de l’astre par la présence de clathrate —des cristaux enfermant des molécules par d’autres molécules, en l’occurence de méthane.
« Ce nouveau travail est une étape considérable. Il souligne, une fois de plus, combien Pluton se caractérise par une signature géologique inattendue sur une planète [sic] de si petite taille, et combien elle a été active sur de longues périodes », a commenté Alan Stern, du Southwest Research Institute, et responsable de New Horizons.
« Même des années après le survol, ces nouveaux résultats de Singer et son équipe démontrent que nous avons bien plus à apprendre des merveilles de Pluton que nous ne l’imaginions avant de nous approcher à ce point », a-t-il ajouté.
Sur Pluton, les volcans d’eau éteints nous attendent.