En Iran, une piste pour expliquer l’énergie noire

Un groupe de chercheurs iraniens a peut-être une explication pour l'un des phénomènes les plus inexplicables de l'univers : l'énergie noire.

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Université Azad Teheran recherche énergie noire
Téhéran, Iran. © NASA

L’énergie noire, c’est l’un des grands mystères contemporains de la cosmologie. Ce n’est pas nous qui l’affirmons, mais le CEA, en ouverture de la page qu’il consacre à cette épineuse question.

Et voici que nous pourrions peut-être enfin l’expliquer. Mais pour mieux comprendre la percée conceptuelle opérée par les chercheurs de l’université Azad à Téhéran, et la pertinence de leur piste, il faut d’abord rappeler que c’est bien la nature même de l’énergie noire qui nous est encore inconnue.

En fait, le terme d’énergie noire est utilisé pour décrire une énigme de la science en elle-même. À savoir : pourquoi les galaxies s’éloignent-elles les unes des autres et, surtout, pourquoi le font-elles toujours plus rapidement ?

Reprenons au début.

Qu’est-ce que l’énergie noire ?

Hubble (le scientifique, pas le télescope) l’a compris avant tout le monde, et les observations le confirment depuis des décennies : les galaxies s’éloignent les unes des autres. Or, ainsi que l’ont constaté les scientifiques en 1998 (découverte récompensée par un prix Nobel en 2011), plus elles sont loin, plus elles s’éloignent vite. À l’heure actuelle, elles sont même plus rapides que la lumière. Eh oui ! Si rien, dans l’univers, ne peut se déplacer plus vite que la lumière… L’univers, lui, fait bien ce qu’il veut. Or c’est ainsi que s’éloignent les galaxies : ce ne sont pas elles qui bougent, c’est le tissu même de l’univers, qui s’étend —à la vitesse, puisque vous voulez tout savoir, de 67,36 kilomètres par seconde par mégaparsec.

L'epansion de l'univers en un schéma
Vue chronologique de l’expansion de l’univers, depuis le Big Bang jusqu’à aujourd’hui.
© NASA

Bon, jusqu’ici très bien, et après tout pourquoi pas ? Mais comme on le sait, l’univers est plein de matière : des étoiles, des planètes, des astéroïdes, des trous noirs, des galaxies. Ces corps génèrent de la gravité. Or la gravité attire, n’est-ce-pas ? C’est à peu près sa définition. Donc, peu à peu, inexorablement, la présence de matière dans l’univers devrait ralentir l’expansion de celui-ci… Alors qu’il accélère, sans même nous demander notre avis.

Il existe donc une énergie inconnue, indétectée et apparemment indétectable, qui surpasse celle de la gravité. C’est cela, que l’on a fort logiquement appelé « l’énergie noire ». Comprendre simplement ce qu’elle est, et son origine, est donc l’un des plus grands défis posés aux physiciens et physiciennes.

Nous avons nous-même soumis un « papier » attribuant cette puissance à l’accumulation, dans les couches inférieures de l’espace-temps, des chaussettes orphelines absorbées par les machines à laver sur Terre (et peut-être ailleurs) (après tout, les machines sont toujours plus nombreuses, donc les chaussettes aussi), mais l’agence spatiale européenne n’a pas souhaité donner suite à notre demande de financement. Il faut donc chercher d’autres causes.

C’est ici qu’entre en jeu le docteur Ibrahim Yusofi et son équipe, qui ont soumis, à la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society de l’université d’Oxford, une recherche et des résultats nettement plus prometteurs… Et même, disons-le, poétiques.

L’étude, disponible en prépublication chez arXiv, a été repérée par le bien nommé Space.com. Que nous dit-elle ?

Accrochez-vous, car on va voyager assez loin…

D’où vient l’énergie noire ?

Quand on a écrit plus haut que l’univers était plein de trucs, comme les galaxies et ce qu’elles contiennent, on a un peu menti : oui, il y a plein de trucs dans l’univers mais, au fond, il y a surtout… rien. De grands espaces vides, de grands espaces de vide, même. Voire, faudrait-il écrire, des vides, au pluriel. Un peu comme une toile d’araignée, résume Space.com sous la plume de l’astrophysicien new-yorkais Paul Sutter  : « Comme les trous dans une toile d’araignée, les vides constituent la vaste majorité du volume, sans rien contenir de sa matière. »

L’univers est bel et bien un tout cohérent, avec de la matière, mais aussi, essentiellement, des vides. Or, et c’est la lumineuse idée exposée dans cette nouvelle étude, ce sont ces vides qui pourraient avoir généré ce que l’on appelle l’énergie noire. Là encore, effaçons-nous derrière Paul Sutter, qui décrypte cette trouvaille (les notes entre crochets sont en revanche de notre fait) :

« Comme toutes les autres structures de l’univers, les vides cosmiques ont commencé petit, avant de grandir pour atteindre leurs tailles actuelles, gigantesques. Voilà des milliards d’années, toute la matière de l’univers était répartie de façon assez égale. Il n’y avait pas de grandes différences de densité d’un endroit à l’autre. Mais avec le temps, chaque endroit qui contenait un peu plus de matière que la moyenne a attiré a lui plus de matière encore [par l’effet de la gravité]. Plus de matière, donc plus d’attraction, donc plus de croissance, au point de former des galaxies, et des groupes de galaxies.

Les vides cosmiques organisés en toile d'araignée (vue d'artiste)
Vue d’artiste de la toile cosmique : elle apparaît comme une structure similaire à une toile d’araignée.
© Institut Max Planck d’Astrophysique

Et à mesure que ces structures grandissaient, les vides se sont vidés et donc étendus [relisez bien cette phrase, c’est d’une logique implacable]. Mais plutôt qu’envisager cet effet comme un phénomène passif, il faut noter que la croissance des vides exerce une pression sur les structures alentours. Par exemple, tandis que les vides se développent, les murs de galaxies, entre eux, s’amenuisent, et finissent par disparaître. Ainsi, les vides s’assemblent les uns avec les autres.

Dans quelques milliards d’années, ils finiront même par dissoudre la toile cosmique, confinant l’ensemble de la matière à quelques grumeaux, isolés, séparés les un des des autres par des centaines de millions d’années-lumière de vide [pour éviter la répétition, on aurait bien écrit « de néant », mais il aurait alors fallu préciser que le vide n’est pas complètement vide (et n’est donc pas le néant), du coup il aurait fallu faire une parenthèse super longue, or tout ça est déjà bien assez compliqué comme ça ; toutefois, si vous voulez en savoir plus sur le vide, les vides ou le néant, vous pouvez toujours passer deux heures en compagnie d’Étienne Klein sur cette vidéo de l’Espace des Sciences. Mais reprenons les explications de Paul Sutter].

En résumé, cette pression déforme l’espace-temps entre les vides, comme toute autre source de matière ou d’énergie dans l’univers. Et cette déformation implique que, tandis que les vides se développent, ils poussent les galaxies vers leurs frontières, les forçant à s’éloigner, malgré l’attraction gravitationnelle entre elles. »

L’énergie noire, ce serait donc l’énergie des vides, du vide, du rien.

Une piste prometteuse

Pour saisir toute la portée de cette hypothèse, il faut encore préciser deux points importants, voire essentiels, du point de vue de la méthode scientifique. D’abord, les chercheurs ont bien sûr mis en équation la croissance des vides telle qu’ils l’envisagent… Et leurs calculs aboutissent, inexorablement, à une vitesse toujours plus grande de l’éloignement entre les galaxies. Au même rythme qu’on l’observe. L’effet des vides correspondrait donc bien, s’il était réel, à l’estimation actuelle de la quantité d’énergie noire.

Ensuite, et c’est crucial, il devrait être possible de vérifier expérimentalement ce postulat. Il faudrait pour cela, « d’abord mesurer plus précisément les vides pour calculer plus exactement l’effet de leur pression combinée, mais aussi avoir plus d’informations sur l’énergie noire elle-même, notamment savoir si sa force a changé au cours des derniers millénaires », précise Paul Sutter, avant de conclure : « C’est, quoi qu’il en soit, une idée intrigante : peut-être l’énergie noire n’est-elle pas causée par une force ou un processus exotique au sein de l’univers : peut-être est-elle simplement un sous-produit de l’évolution normale du rien. »

Nous saurons donc peut-être bientôt si l’on peut répondre à la vieille question de Leibniz « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » : « Ben justement, parce qu’il y a rien ».