Souvenez-vous… Le 4 juillet 2014, le leader de Daesh, Abou Bakr Al-Baghdadi, proclamait « la renaissance du Califat », lors d’un prêche depuis la Grande Mosquée Al-Nouri à Mossoul en Irak (il a depuis trouvé la mort lorsque, assiégé par un raid des forces spéciales américaines dans son repère de Baricha en Syrie, il a actionné une ceinture explosive, le tuant lui et ses deux enfants ; son corps a ensuite été immergé en mer pour éviter que sa tombe puisse servir de lieu de culte).
Et sans hésiter, moins de 3 ans plus tard, alors que l’armée irakienne progressait dans la reconquête du territoire, il ordonnait de faire sauter le bâtiment et son minaret, tous deux millénaires —leur construction remontait à l’an 1 172 de notre calendrier.
On le sait, Daesh ne s’est pas contenté de créer un état totalitaire et de terroriser, piller, torturer, tuer, enlever, violer et réduire en esclavage, il a aussi abattu des dizaines de bâtiments historiques, joyaux archéologiques d’une région à l’histoire plus de 4 fois millénaire.
C’est à cette « orgie de destruction », pour reprendre l’expression employée par The New Arab dans un récent reportage, qu’un groupe de scientifiques, d’ingénieurs et d’ingénieures, avec l’aide des familles résidant sur place, a décidé de remédier. Par l’ouverture d’un musée, et la reconstitution des édifices historiques à l’aide de la réalité virtuelle. Les visites du public ont démarré cet été.
La science entre en scène
À Mossoul, la reconstruction des vestiges, grâce à l’aide de l’UNESCO, a certes démarré presque aussitôt la fin de Daesh. Mais, pour les habitants, la splendeur de la vieille ville de Mossoul, l’ancienne capitale de l’empire Assyrien sous le nom de Ninive, n’était désormais plus qu’un souvenir.
Le site de Ninive, à Mossoul, magnifié par William Friedkin en ouverture de L’Exorciste (à partir de 40’00).
C’est ce manque qui a provoqué la création, sur les rives du Tigre, du tout nouveau musée de l’Héritage de Mossoul, une initiative pilotée par le centre pour l’architecture, l’urbanisme et l’héritage mondial de l’université de Nottingham Trent en Angleterre, avec l’appui de chercheurs et chercheuses des universités de Leeds, mais aussi de Mossoul et de Wasit, en Irak. Le tout est financé par l’Académie des sciences humaines et sociales du Royaume-Uni ; la partie « réalité virtuelle » ayant été prise en charge par la société locale QAF Lab.
Un espoir guidait cette équipe internationale et pluridisciplinaire : ouvrir, le plus vite possible, un musée au cœur de la cité, pour répertorier, préserver et partager tout ce qui pouvait l’être du patrimoine mossouliote, et le rendre aux habitantes et habitants.
Le tout s’accompagne d’un vaste panorama de recherche : il n’est pas seulement question de mettre en valeur les joyaux de l’ancienne capitale assyrienne, mais aussi d’en approfondir la connaissance historique comme jamais auparavant : « Le projet », écrit le groupe, « a pour objectif de documenter et de contribuer à préserver les héritages tangible et intangibles du Vieux Mossoul. Pour cela, nous ferons des recherches dans les archives, dans la documentation historique, et nous procèderons à des explorations techniques et visuelles du terrain, afin de créer des enregistrements numériques et d’archiver le tissu urbain du Vieux Mossoul ».
La réalité virtuelle au secours de l’histoire
Les chercheurs s’attachent à 5 bâtiments en particulier : le minaret Al-Hadba, l’église al-Sa’a, la synagogue Ahmadeya, le souk Bab Al-Saray et le Khān (ou caravansérail) Al-Gumriq. Les deux derniers de ces bâtiments témoignent de l’histoire de la ville comme place économique centrale dans l’histoire de la région, quand les trois premiers sont, respectivement, d’origine musulmane, chrétienne et juive : le nom même de la ville, rappelle le musée, vient de l’arabe « wasel », qui signifie… « lien ».
En faisant appel aux citoyens et citoyennes pour collecter tous les documents photographiques possibles des bâtiments en question, le nouveau musée du Vieux Mossoul est donc parvenu à reconstituer en réalité virtuelle les bâtiments tels qu’ils étaient avant l’arrivée de Daesh. La visite est disponible dans une pièce dédiée, aux côtés de nombreux objets quotidiens, tels des amphores en terre cuite, des lampes à huile ou des tapisseries. En juin, mois de son ouverture, l’exposition permanente a reçu plus de 4 000 visiteurs et visiteuses.
« De nombreux enfants n’ont jamais vu la mosquée Al-Nouri ni son minaret », rappelle Ayoub Younès, le fondateur du musée, âgée de 29 ans, toujours cité par The New Arab. « Nous essayons », poursuit-il, « grâce à la réalité virtuelle, de permettre aux personnes de connaître l’expérience qu’était la visite de ces sites ; d’en retrouver les souvenirs ».
La création de Ninive, alors un simple village avant de devenir l’une des principales cités de l’empire babylonien, puis la capitale de l’Assyrie sur l’ordre du roi Sennacherib, remonte à 7 000 ans avant J.C. Elle est au cœur, dans l’Ancien Testament, du livre de Jonas, qui se termine par ces mots (selon la traduction officielle liturgique de 2013), de Dieu lui-même :
« Et moi, comment n’aurais-je pas pitié de Ninive, la grande ville, où, sans compter une foule d’animaux, il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne distinguent pas encore leur droite de leur gauche ? »
Découvrez le projet Mosul Heritage sur le site du musée, ici.