À Nîmes, théâtre pour tous

L’Académie internationale de mise en scène de théâtre musical de Nîmes a présenté sa réjouissante première édition, audacieuse et variée.

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Théâtre pour Tous à Nîmes
© NASA

par Romaric Gergorin

Une trentaine de jeunes artistes venus de 27 différents pays sont venus à Nîmes participer à la première édition de l’Académie internationale de Mise en scène de Théâtre musical qui se déroula du 2 au 14 mai. Ce projet initié par le metteur en scène et producteur Antoine Gindt avec sa compagnie T&M a été conçu en partenariat avec l’Ensemble musical Multilatérale et son sémillant chef Léo Warynski qui dirigea le suivi musical des œuvres proposées.

L’idée innovante de ce projet est de sensibiliser de jeunes artistes venus du spectacle vivant à la mise en scène de théâtre musical et d’opéra dans une perspective contemporaine, c’est-à-dire en s’emparant du répertoire actuel ou ayant été créé après les années 1960.

Des ateliers et des masters classes avec des professionnels avertis comme Laurent Bayle, ancien directeur de l’Ircam et de la Philharmonie de Paris, ont aussi été organisés pour sensibiliser les jeunes académiciens aux métiers des arts de la scène. Enfin, trois binômes ont été sélectionnés parmi ces jeunes créateurs pour mettre en scène les trois œuvres choisies pour cette première édition de création de théâtre musical qui s’est développée en partenariat avec l’École supérieure des beaux-arts de Nîmes et le Carré d’Art – musée d’art contemporain de la ville.

L’Histoire du soldat

14h30, nous arrivons au Centre social Simone Veil, dans cette banlieue chaude de Nîmes qui parait bien accueillante en ce début d’après-midi ensoleillée. Ce théâtre à l’acoustique appréciable propose L’Histoire du soldat, pièce emblématique d’Igor Stravinsky sur un texte de Charles-Ferdinand Ramuz. Inspirée du folklore juif ukrainien qu’il entendit dans sa jeunesse, cette œuvre du compositeur russe, créé à Lausanne en 1918, comprenant trois récitants et sept musiciens, est particulièrement difficile à diriger.

À la tête de l’Ensemble Multilatérale, les jeunes académiciens Stefano Boccacci et Gabriela Opacka dirigent avec talent les redoutables contretemps rythmiques de Stravinsky, forts des conseils donnés lors de l’Académie par Léo Warynski. La mise en scène sobre, concise et efficace de Pierre Florac et Eleonora Rodigari se focalise sur un plateau carré sur lequel agissent les comédiens, les musiciens étant placés à l’arrière de la scène derrière deux panneaux voilés. Mathieu Loiseau, récitant de cet infernal récit, reste à la périphérie de la scène, pendant que Richard Dubelski campe avec efficacité ce soldat joué par le malin.

Mais c’est le charismatique Éric Houzelot qui capte toute l’attention en diable aux ruses perfidement protéiformes pour duper le naïf bidasse. Une danse d’Eloïse Kohn vient par surcroit surenchérir sur le mécanisme de damnation à l’œuvre dans ce mimodrame faustien inspiré à Stravinsky par une légende recueillie dans les années 1850 par le folkloriste Alexandre Afanasiev dans ses Contes populaires russes.

Récitations

18h, les portes du Petit Temple de Nîmes s’ouvrent. Le public se place debout autour de la soprano Raquel Camarinha qui incarne une femme seule explorant différents affects et sentiments exacerbés exprimés dans Récitations.

Théâtre Musique Nîmes 2022
© Sandy Korzekwa

Cette pièce virtuose pour voix soliste conçue par Georges Aperghis en 1978 est devenue depuis une référence incontournable de l’expressivité vocale contemporaine. Des bancs entassés et renversés en amas sans dessus dessous, des néons éclairants ce champ de ruine, tels sont les partis-pris de Kapitolina Tcvetkova et Clément Debras qui semblent vouloir incarner dans leur dispositif scénique le chaos mental de la récitante en totale déréliction.

L’amplification sonore, le sampler de Yoan Héreau, les gesticulations de Raquel Camarinha dialoguant avec son double fantomatique, avatar virtuel issu des hauts parleurs, toutes ces idées jouant avec l’espace de cette petite église protestante sont parfaitement ajustées à l’étrangeté théâtrale de George Aperghis.

El Cimarrón

20h, nous voici à la Salle modulable de l’Odéon, succursale du Théâtre de Nîmes sis en ce quartier Richelieu populaire et métissé, pour assister au summum du festival de cette Académie avec El Cimarrón. Rarement joué, ce monodrame d’une heure vingt de Hans-Werner Henze s’inspire des souvenirs de l’ancien esclave cubain devenu affranchi Esteban Montejo, tel que raconté par l’ethnologue Miguel Barnet.

Cette trajectoire incroyable, de la servitude à la vie sauvage dans la jungle en passant par la guerre d’indépendance, est incarnée avec éclat par le baryton Iván Garcia, familier du rôle qu’il interpréta récemment à Buenos Aires. Langage parlé, sprechgezang – chanté-parlé –, arioso, hurlements, déplorations, le chanteur vénézuélien use de toutes les nuances de l’art vocal et du théâtre pour incarner ce personnage extraordinaire dont l’existence plus grande que nature fut pourtant bien réelle.

Les musiciens de Multilatérale, Rémi Jousselme à la guitare, Matteo Cesari à la flute, Hélène Colombotti aux percussions et Carlos Tortarolo, le postulant chef à la direction, exécutent avec une belle intensité la partition très expressive de Henze. À la mise en scène, les deux jeunes moscovites Viktoria Agarkova et Irina Deryabina font preuve d’inventivité tout en restant fidèles à l’œuvre. En plaçant des cordes verticales sur le devant de la scène, elles figurent l’univers carcéral du colonialisme d’où Montejo va s’évader. Ces cordes vont être aussi successivement les fouets des contremaîtres, les cannes à sucres du labeur de la récolte, les arbres de la forêt dans laquelle le fugitif va se cacher et s’émanciper par un verbe d’une souveraine poésie.

Déjà annoncée, la deuxième édition de l’Académie internationale de mise en scène de théâtre musical de Nîmes promet d’être aussi séduisante que ces enthousiasmants débuts. En mai 2023, l’Ensemble Intercontemporain sera la formation musicale invitée avec à ses côtés le compositeur russe Dmitri Kourliandski. Les œuvres mises en scène seront Song Books de John Cage, Aventures et Nouvelles aventures de György Ligeti, Eight Song s for a Mad King de Peter Maxwell Davies et L’Opéra de Quat’sous de Kurt Weil et Bertolt Brecht.

En ces temps de conformisme et de frilosité dans les programmations, ce choix d’œuvres audacieuses, excitantes et exigeantes parait presque trop beau pour être vrai. En 2024 Licht et Klang de Stockhausen à Nîmes dans leur intégralité ? 

L’Histoire du soldat, Récitations, El Cimarrón, œuvres mises en scènes par l’Académie internationale de mise en scène de théâtre musical T&M, musiques interprétées par l’Ensemble Multilatéral, Nîmes, vendredi 13 mai 2022.