Né en 1900, Jacques Prévert, poète, auteur de théâtre et scénariste, a publié de très nombreux recueils de poésie suite au succès critique et public de Paroles, sorti en 1946. Le plus célèbre est sans doute « Barbara », qui s’ouvre par les fameux vers « Rappelle-Toi Barbara / Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là », délicate expression de la guerre et ses bombardements, de l’amour sous les bombes, et du besoin de vivre intensément.
Bien d’autres sont marquants : « Rue de Seine », et son couple se déchirant sous les yeux de l’auteur ; les très simples, et pourtant très forts « Immense et Rouge » ou « Chanson » (tous trois dans Paroles) ou le fantaisiste « Éclaircie », dans La Pluie et le Beau Temps (1955).
Mais notre préféré, peut-être le plus parfait si ce mot a un sens en littérature, est simplement intitulé « Cet amour ». Dépourvu de strophes, comme un long cri tendre, il mérite d’être lu d’une traite pour s’en imprégner… (vous pouvez aussi scroller jusqu’à la fin pour en découvrir la version dite par Jean-Marc Tennberg, en vidéo).
Bonne lecture.
Cet amour
Cet amour
Si violent
Si fragile
Si tendre
Si désespéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tranquille au milieu de la nuit
Cet amour qui faisait peur aux autres
Qui les faisait parler
Qui les faisait blêmir
Cet amour guetté
Parce que nous le guettions
Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Parce que nous l’avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Cet amour tout entier
Si vivant encore
Et tout ensoleillé
C’est le tien
C’est le mien
Celui qui a été
Cette chose toujours nouvelle
Et qui n’a pas changé
Aussi vrai qu’une plante
Aussi tremblante qu’un oiseau
Aussi chaude aussi vivant que l’été
Nous pouvons tous les deux
Aller et revenir
Nous pouvons oublier
Et puis nous rendormir
Nous réveiller souffrir vieillir
Nous endormir encore
Rêver à la mort,
Nous éveiller sourire et rire
Et rajeunir
Notre amour reste là
Têtu comme une bourrique
Vivant comme le désir
Cruel comme la mémoire
Bête comme les regrets
Tendre comme le souvenir
Froid comme le marbre
Beau comme le jour
Fragile comme un enfant
Il nous regarde en souriant
Et il nous parle sans rien dire
Et moi je l’écoute en tremblant
Et je crie
Je crie pour toi
Je crie pour moi
Je te supplie
Pour toi pour moi et pour tous ceux qui s’aiment
Et qui se sont aimés
Oui je lui crie
Pour toi pour moi et pour tous les autres
Que je ne connais pas
Reste là
Lá où tu es
Lá où tu étais autrefois
Reste là
Ne bouge pas
Ne t’en va pas
Nous qui nous sommes aimés
Nous t’avons oublié
Toi ne nous oublie pas
Nous n’avions que toi sur la terre
Ne nous laisse pas devenir froids
Beaucoup plus loin toujours
Et n’importe où
Donne-nous signe de vie
Beaucoup plus tard au coin d’un bois
Dans la forêt de la mémoire
Surgis soudain
Tends-nous la main
Et sauve-nous.
Jacques Prévert, Paroles (1946).
La version dite par Jean-Marc Tennberg, en vidéo
Si ce poème vous a plu, ou que vous aimez tout simplement la poésie… peut-être serez-vous intéressé, ou intéressée, à l’idée de lire notre chronique du splendide Hypérion de Dan Simmons, ou des Chants de Maldoror de Lautréamont… à moins que vous ne préfériez tout simplement découvrir notre rubrique Littérature.
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