Hypérion, manuel de survie psychique pour temps troublés

Pourquoi il faut lire absolument Hypérion, de Dan Simmons

Temps de lecture : 14 minutes
Hypérion Dan Simmons critique
© khlongwangchao / Fotolia

Vous le savez, ou vous le saurez bien assez tôt : PostAp Mag est décidé à tout tenter pour vous aider à ne pas perdre (complètement) la tête par temps troublés (ceux-ci comme les prochains !). Il y aura pour cela des news, des textes de fond, de la fiction, du son et de l’image, et des recensions d’œuvres.

Commençons donc dès aujourd’hui et par celle (de recension) d’une parmi les meilleure d’entre toutes (d’œuvres), trônant sur la bibliothèque de la rédaction à la même hauteur que La Recherche : Hypérion, de Dan Simmons. (Et, oui, cet avis inclut sa suite brillantissime, Endymion ;!)

Hypérion Dan Simmons critique
(Cliquez sur l’image ou ici pour enfin vous en bâfrer !).

 

Plus les choses changent…

Situé des siècles après “la Grande Erreur de 2008” qui entraîna la destruction de la Terre, Hypérion et sa suite Endymion, de Dan Simmons constituent la plus belle, la plus incroyable, la plus extraordinaire des utopies de science-fiction qu’il nous ait été données de lire. Un roman de SF magistral, qui rend hommage, aux très nombreux genres qui constituent cette part essentielle de la littérature moderne (space opera, horreur lovecraftienne, cyberpunk, philosophie, anticipation), voire les englobe, dans un éblouissement de style, magnifiquement traduit en français par Guy Abadia.

Hypérion peut se lire à toute heure du jour ou de la nuit, au lit, sur un canapé, dans un train, dans un bain, dans un jardin ensoleillé ou près d’une fenêtre s’ouvrant sur l’hiver (toutes ces configurations ont été testées personnellement par l’auteur de ces lignes), l’effet sera toujours le même : une jouissance intellectuelle et esthétique pure, causée par le génie de son auteur qui a, clairement, jeté toute l’inspiration et la transpiration dont il était capable de cette œuvre majeure de notre temps.

Il se passe que…

On va tenter d’en dire le moins possible sur l’histoire, car le dépaysement profond qui vous saisit dès les premières pages (voir l’extrait ci-dessous) fait partie entièrement de l’expérience sensorielle représentée par la lecture de ce livre récompensé par le prix Hugo en 1990. Tout au plus dira-t-on que l’humanité a, au début du récit, bien avant le début du récit même, essaimé sur des centaines, des milliers peut-être, d’exoplanètes à travers la galaxie, capable désormais de se déplacer d’un endroit à l’autre de l’espace en un instant (une invention que l’on doit à notre maîtrise de l’intelligence artificielle), vivant dans une bienheureuse démocratie éclairée, bienveillante (ici, la Palestine comme Israël dispose chacune de leur planète).

Ah, si, juste un détail : sur la planète Hypérion (le nom provient d’un poème de John Keats narrant la chute des anciens dieux, les Titans, remplacés par Zeus et sa bande), il semble que les mystérieux tombeaux du temps soient en train de s’ouvrir. Sur quoi ? La Présidente de l’Hégémonie, Meina Gladstone, envoie sur place un consul, un érudit, une détective privée, un prêtre, un Templier, un soldat et un poète pour le savoir.

Bande-annonce de Bright Star, de Jane Campion, biopic de John Keats, le poète auquel Hypérion rend hommage presque en permanence.

Deux extraits d’Hypérion

Extrait 1

Prologue

Le consul de l’Hégémonie, sur le balcon de son vaisseau spatial couleur d’ébène, jouait le Prélude en do dièse mineur de Rachmaninov sur un Steinway âgé mais en bon état, tandis que de grands sauriens verts s’ébattaient bruyamment dans les marécages en contrebas. Une méchante tempête se préparait au nord. Des nuages livides comme des ecchymoses entouraient le profil d’une forêt de gymnospermes géantes tandis que des stratocumulus flottaient à neuf mille mètres de haut dans un ciel de violence. Les éclairs se répercutaient sur la ligne d’horizon. Plus près du vaisseau, des formes vaguement reptiliennes se heurtaient au périmètre d’interdiction, poussaient un barrissement et battaient lourdement en retraite à travers les brumes indigo. Le consul se concentra sur un passage particulièrement difficile du Prélude, ignorant l’approche conjuguée de la tempête et de la nuit.


Le carillon du récepteur méga se fit entendre.


Le consul cessa de jouer, les doigts en suspens au-dessus du clavier, et tendit l’oreille. Le tonnerre grondait dans l’atmosphère épaisse. De la forêt de gymnospermes lui parvint le hululement lugubre d’une meute de charognards. Quelque part dans les ténèbres au-dessous de lui, un animal à la cervelle étroite répondit par un barrissement de défi, puis se tut. Le périmètre d’interdiction ajoutait seul ses harmoniques subtiles au silence momentané. Puis le carillon du mégatrans retentit de nouveau.
– Merde, fit le consul en se levant pour aller répondre.


Tandis que l’ordinateur prenait les quelques secondes qui lui étaient nécessaires pour convertir et décoder les salves de tachyons affaiblis, le consul se versa un verre de scotch. Il s’installa sur les coussins de la fosse de projection au moment où le disque passait au vert en clignotant.
– Lecture, dit-il.
– Vous êtes désigné pour vous rendre de nouveau sur Hypérion, lui annonça une voix féminine chaude et légèrement voilée.

Bonus pour les plus curieux : Le Prélude en do dièse mineur de Rachmaninov !

Extrait 2

Ma mère rendit son dernier soupir en même temps que l’Ancienne Terre. La moitié environ des Anciennes Familles étaient encore là u moment du dernier cataclysme. J’avais alors vingt ans, et j’avais conçu le projet romantique de m’éteindre avec ma planète natale. Mais ma mère en a décidé autrement. Ce n’était pas tant ma disparition prématurée qui la préoccupait -tout comme moi, elle avait une tournure d’esprit beaucoup trop égocentrique pour penser à quelqu’un d’autre en un moment pareil- ni même le fait que l’extinction de l’ADN que je portais en moi signifierait la fin d’une longue lignée d’aristocrates remontant jusqu’au Mayflower. Non ; ce qui la tracassait, c’était que la famille allait mourir avec des dettes. Nos cent dernières années d’extravagances, semble-t-il, avaient été financées par la Banque de la Ceinture et quelques autres discrets établissements extraterrestres. Maintenant que les continents de la Terre se craquelaient, que les grandes forêts étaient en flammes, que les océans brûlants se soulevaient en une soupe stérile, que l’air lui-même se transformait peu à peu en un magma trop chaud et trop épais pour être respiré, mais pas encore assez consistant pour être labouré, les banques demandaient à être remboursées, et j’étais solidaire.


Ou, plutôt, c’était le calcul de ma mère qui l’était pour moi. Elle liquida tous nos avoirs quelques semaines avant qu’ils ne fussent liquéfiés au sens physique du terme. Puis elle déposa deux cent cinquante mille marks sur un compte à long terme à la Banque de la Ceinture, avant le transfert précipité de son agence, et m’expédia en villégiature dans le Protectorat Atmosphérique de Rifkin, sur Heaven’s Gate, une planète mineure qui orbitait autour de l’étoile Véga. Même à cette époque reculée, ce monde toxique possédait une liaison distrans avec le système solaire, mais je ne fis pas usage. Je ne voyagerais pas non plus à bord de l’unique vaisseau à effet de spin, équipé d’un propulseur Hawking, qui faisait escale sur Heaven’s Gate une fois par année standard. Non. Ma mère m’avait envoyé sur ce caillou du bout du monde à bord d’une vieille stratofusée de la troisième génération, infraluminique, bourrée d’embryons de veaux congelés, de jus d’orange lyophilisé et de virus nourriciers, pour un voyage qui devait durer cent vingt-neuf années de vaisseau, avec un déficit de temps objectif qui s’élevait à cent soixante-sept années standards !


Ma mère avait calculé que les intérêts cumulés de son dépôt à long-terme suffiraient à éponger la dette familiale, et peut-être à me faire vivre confortablement pendant quelques temps. Pour la première et la dernière fois de sa vie, cependant, elle avait fait une erreur dans ses calculs.

Conclusion

Plus de 25 ans après sa sortie initiale, Hypérion demeure un gigantesque roman qui, surtout, fait un bien fou en nous projetant dans un monde futuriste où tous nos problèmes, toutes nos questions, prennent un tour similaire et différent à la fois. On prend de la distance, on réfléchit, on apprend, on mûrit profondément et on voit l’avenir, l’humanité même, et donc le présent, d’un œil neuf. Une Bible pour toutes les générations post-humaines en cours d’émergence.

Hypérion, de Dan Simmons, traduction de Guy Abadia, (4 ou 8 volumes selon les éditions) est disponible en Poche et Grand Format juste ci-dessous.

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