Créé par Pierre Boulez en 1976, l’Ensemble intercontemporain réunit trente et un musiciens solistes d’excellence qui défendent à travers le monde le répertoire de la musique actuelle, des classiques de la modernité aux créations de nouvelles œuvres.
En résidence à la Philharmonie de Paris, cet ensemble, considéré comme le meilleur d’Europe dans le domaine contemporain, a joué cette saison essentiellement à Paris mais aussi à Berlin, Bratislava, Shanghai, Rome, Hambourg, Zurich, Prague, Helsinki sans oublier Nantes, Angers, Dijon.
Après avoir connu une lignée de directeurs musicaux prestigieux, de Pierre Boulez son fondateur à Susanna Mälkki, en passant par Peter Eotvos, David Robertson, Jonathan Nott, la formation est aujourd’hui dirigée par le chef d’orchestre et compositeur allemand Mathias Pintscher. Ce dernier apporte souplesse, fluidité et raffinement dans son interprétation des œuvres contemporaines d’hier et d’aujourd’hui.
On attend ainsi avec impatience le concert de ce vendredi 10 mai qui verra l’Ensemble intercontemporain interpréter une Intégrale des concertos de György Ligeti à la Philharmonie de Paris. On pourra apprécier l’étonnante plasticité d’un compositeur au génie insatiable, des micropolyphonies du Concerto pour Violoncelle (1966) aux polyrythmies virtuoses du Concerto pour piano (1985-1988) inspiré de Bartok, de la musique folklorique africaine et de la géométrie fractale, en passant par le Concerto pour Violon (1990-1992) alliant retour à l’expressivité romantique et microtonalité, jusqu’à l’ultime concerto pour cor et orchestre (1998-2003), Concerto Hambourgeois, dont le titre est en hommage à J.S Bach.
Démesure pour mesure
On retrouve l’Ensemble intercontemporain dans la nouvelle édition de ManiFeste, l’incontournable festival annuel de l’Ircam voué à la création musicale, qui est aussi ouvert au théâtre, à la danse, aux arts plastiques et aux débats philosophiques. Placée cette année à l’aune de « l’idée de l’enfance » et de « l’enfance d’une idée » par Frank Madlener, directeur de l’Ircam, ManiFeste 2019 présente une programmation séduisante et variée, avec deux sommets attendus ouvrant et refermant le festival.
En ouverture, lundi 3 juin à la Philharmonie de Paris, Philippe Manoury présente Lab.oratorium, un oratorio avec orchestre et électronique, dirigé par François-Xavier Roth et mis en scène par Nicolas Stemann. Inspiré par la tragédie des migrants qui traversent hâtivement la méditerranée, le compositeur phare de l’Ircam – le plus doué pour créer des œuvres mixtes alliant électronique en temps réel et raffinement orchestral – présentera son nouveau grand œuvre portant sur un sujet brûlant d’actualité et source de multiples controverses.
Pour conclure ManiFeste, l’Ensemble le Balcon donnera Samstag aus Licht, le 28 et 29 juin à la Philharmonie de Paris, deuxième journée de Licht, enthousiasmant cycle opératique géant de Stockhausen découpé en sept journées. Samedi de lumière, journée de Lucifer, sera l’occasion d’un fantastique feu d’artifices d’invention musicale et chorégraphique comme on n’en voit jamais. Le livret du compositeur, aux audacieuses spéculations poétiques, philosophiques et littéraires, laissera sans doute pantois les plus disciplinés auditeurs du Collège de France et autres amateurs de rationalisme et de matérialisme serrés.
Pluralisme de la nouveauté
Entre ces deux pics, de nombreux concerts de très haute tenue autour de nombreuses créations, dont celles de Franck Bedrossian, explorateur affuté de la saturation, le 7 et 14 juin à la Cité de la Musique, une relecture de la musique spectrale, le 12 juin au Centre Pompidou, le 13 juin à l’Eglise Saint-Merry et le 20 juin au Musée de l’Orangerie, des créations de la compositrice grecque Georgia Spiropoulos le 6 juin au Théâtre de Gennevilliers, des œuvres d’Edgard Varèse, Iannis Xenakis, Emmanuel Nunes – son chef d’œuvre Nachtmusik sera joué le 15 juin au Centre Pompidou, accompagné de deux créations de Pierluigi Billone et Eric Maestri.
Une installation participative de Pascal Dusapin au Centquatre le 1er et 2 juin, la trilogie théâtrale conçue par Ludovic Lagarde autour de l’œuvre d’Olivier Cadiot le 8 et 9 juin à la MC 93 de Bobigny, un colloque autour et avec Alain Badiou le 7 et 8 juin à l’Ircam, un hommage à Pierre Boulez au Collège de France le 17 juin complètent idéalement ce fastueux festival.
En ces temps de nivellement démagogique de la culture vers un dénominateur commun toujours plus bas et plus insane, rappelons que l’exigeant festival ManiFeste fait salles combles à chaque édition.
Intégrale des concertos de Gyorgy Ligeti par l’Ensemble intercontemporain, le 10 mai 2019 à la Philharmonie de Paris : ensembleinter.com
Festival ManiFeste de l’Ircam, du 1er au 29 juin 2019 dans divers lieux, à Paris, Nanterre, Bobigny et Gennevilliers : manifeste.ircam.fr Réservations par téléphone : 01 44 78 12 40.
L’auteur
Romaric Gergorin est critique (art, littérature, musique) et essayiste.
Dernier ouvrage paru : Erik Satie (éditions Actes Sud).