La thématique est passionnante, l’ouvrage est saisissant. Dans la lignée d’œuvres telles que Sapiens, de Yuval Noah Harari, Cataclysmes s’attaque à l’histoire de l’Humanité, de façon claire, précise et solidement argumentée. L’auteur y relate le parcours de Singe (un terme métaphorique pour englober l’Humanité et rappeler notre nature animale) et surtout ses effets sur l’environnement, soit la planète qui nous accueille.
Le point de départ du livre se situe 3 millions d’années avant notre ère. Notre époque constitue le point d’arrivée, suivi d’une habile mise en perspective. Nous avons donc souhaité rencontrer l’auteur de cette « Bible de l’Anthropocène« , afin de lui poser quelques questions.
Singe VS Dieu
Cyprien Rose. Le terme « Singe », en guise de métaphore à notre Humanité, c’est pour relativiser notre parcours, et pour que l’homme descende du piédestal qu’il s’est créé ?
Laurent.Testot. J’emploie effectivement la métaphore de Singe pour englober toute l’Humanité, mais aussi pour rappeler notre nature animale et tordre le coup à cette idée héritée du dualisme qui voudrait que l’on soit, par nature, supérieur aux animaux. Il n’y a pas de différence entre les autres animaux et les humains puisque l’on sait aujourd’hui qu’il n’y a pas de propre de l’humain. Il y a des société animales, des cultures animales, des animaux qui emploient des outils, et les animaux ont des langages différents.
En fait, comme l’avait vu Darwin, c’est purement une question de degrés. Par accident, l’humain à réussi à développer ses capacités, notamment culturelles, langagières, symboliques, à des niveaux inégalés par rapport au reste du vivant. Cela ne nous confère pas une supériorité quelconque, mais peut-être une responsabilité accrue, dans la mesure où nous avons développé des outils pour extraire beaucoup de ressources de nos milieux, mais que ce faisant nous sommes en train de les détruire.
Je décris souvent Singe comme étant un animal tiraillé entre deux contraires, qui sont la violence pour extraire de quoi survivre, manger, etc. et l’empathie, parce que l’humanité a développé avec le langage, avec les idéologies, un certain nombre de capacités permettant d’activer à très grande échelle les mécanismes d’empathie. Ce qui veut dire que nous avons intérêt en nous à développer cette empathie, à non plus l’étendre seulement à des communautés humaines dont nous nous sentons proches, ou à l’ensemble des humains, mais à l’ensemble de la biosphère, faute de quoi nous risquons de nous tuer nous-mêmes, en détruisant cette biosphère.
C.R. Vous décrivez donc Singe comme un super prédateur empathique. C’est mieux ou pire qu’un psychopathe ?
L.T. Je ne dirais pas que c’est un psychopathe, mais je suis assez d’accord avec l’idée que certaines structures sont fondamentalement psychopathologiques. Les grandes entreprises, les États, sont en fait de véritables psychopathes, simplement parce qu’effectivement, à l’intérieur, ils ont été construits sans références à l’empathie.
Quel est le propre d’un psychopathe ? C’est être une personne privée d’empathie. Et quelque part, une entreprise c’est ça. Parce qu’il y a des dispositifs de délégation à l’intérieur d’une grande entreprise, qui font qu’au bout de la chaîne on a fini par convaincre un pauvre gusse d’en licencier cinq cents, pour que des symboles puissent encaisser plus d’argent quelque part. Les actionnaires ne vont jamais voir la misère qui résulte des processus, et c’est en cela que l’on peut dire que de grandes entreprises sont psychopathologiques !
On peut dire la même chose des États. Un État, c’est un monstre froid, ce n’est pas quelque chose de péjoratif par rapport aux grandes structures que sont les entreprises ou les États, mais ils ont été structurellement conçus comme des personnes morales, et donc psychopathologiques. Paradoxalement, ce qu’on appelle les « personnes morales » n’ont pas d’empathie.
C.R. Singe cultive-t-il les paradoxes ?
L.T. C’est une histoire évolutive très compliquée. Singe s’est mis à manger de la viande il y a trois millions d’années. Et l’on sait que ses premiers outils ont servi à hacher de la viande pour pouvoir s’en nourrir. On sait très bien pourquoi : si l’on essaie de manger un steak d’une vache que l’on vient de dépiauter, on va se casser les dents. Il faut alors hacher menu, la transformer en steak tartare pour pouvoir l’ingérer. Aujourd’hui, encore plus, on la cuit, ce qui attendrit les fibres et permet plus facilement au corps de la digérer. Nous avons donc acquis énormément de protéines animales de cette façon, au cours de l’évolution, ce qui a permis de faire grossir notre cerveau.
La différence fondamentale entre un chimpanzé et un humain, au fond, c’est un kilo de matière grise plongé dans le cortex, et c’est un appareil symbolique, à décoder, à faire du symbole. Donc, nous avons construit des tas de mécanismes symboliques, qui sont en réalité des mécanismes d’organisation. Ils auraient pu être autres, mais aujourd’hui ils prennent la forme de religions, d’idéologies politiques, d’états, de banques… Ce sont des constructions virtuelles. Elles n’existent pas en dehors des consensus de récits partagés et pourtant vous et moi, nous savons ce qu’est une banque, nous savons qu’il y a notre argent dedans et nous savons que si nous voulons manger à la fin du mois, il faut être en bon rapport avec ce truc ! Mais, une banque, pour un être humain du passé, par exemple il y a 15 000 ans, quand le gars chassait des lapins pour se nourrir, ça ne fonctionnait pas, on aurait eu beau lui raconter, lui expliquer, ça ne serait jamais entré dans son univers mental. C’est quelque chose qui est purement virtuel, mais ça existe parce que vous et moi y croyons c’est de notre faute.
C.R. Oh, on se serait laissé berner ?
L.T. Disons que l’on croit à nos histoires !
Actions, réactions, sanctions
C.R. Nous modifions notre environnement et, en retour, ce dernier nous modifie aussi. Singe prend-il conscience assez tôt du phénomène ?
L.T. Les brûlis réguliers et l’écobuage, attestés par l’archéologie, datent d’environ 40 000 ans en Australie. C’est donc une pratique très ancienne et l’on soupçonne qu’elle serait encore antérieure. Pour simplifier, Singe a remarqué qu’en mettant régulièrement le feu dans les taillis, les plantes qui repoussaient étaient plus tendres, et que l’on pouvait également contrôler le gibier qui prospérait.
C’est comme cela que les Aborigènes australiens ont régulé leur milieu depuis très longtemps. C’est comme ça que dans certaines parties d’Afrique du Sud, l’on sait qu’il y a des plantes qui ont besoin des brûlis réguliers anthropiques pour se reproduire, ce qui prouve que cela fait un certain temps que les humains interviennent dans le milieu. C’est également comme ça que les Amérindiens, avant l’arrivée des européens dans les Amériques, entretenaient leur milieu en brûlant régulièrement toute la surface des Amériques.
Tout simplement parce que c’était une autre forme d’agriculture. Par exemple, pour les Amérindiens, ou les Aborigènes australiens, ils n’avaient pas de fer, et ils n’avaient pas de gros animaux domestiqués. Ils ne pouvaient donc pas pratiquer l’agriculture comme on la pratiquait au Moyen-Âge, retirer les souches d’un champ avec des bœufs, ou utiliser ces bœufs et des chevaux pour tracter des socles en acier -lesquels nécessitaient des hauts fourneaux, et la maîtrise de la métallurgie- pour retourner la terre. C’est pourquoi il y avait tant de façons d’être en relation avec son milieu. Tout paysan qui retourne la terre sait qu’il affecte le milieu, que les espèces changent, mais il y a une espèce d’amnésie écologique, puisque l’on ne se rappelle pas ce qu’il y avait avant.
Nos grands-parents ont défriché la forêt, et la forêt n’est plus, mais elle reste à l’état de traces dans les mythes. Notre civilisation, qui va extrêmement vite, est parvenue à convaincre les agriculteurs qu’ils pouvaient passer régulièrement des poisons un peu partout, que cela n’avait aucune corrélation avec la disparition de différents insectes, si ce n’est les présumés « mauvais » pour les récoltes.
Le problème, c’est qu’effectivement nous nous racontons des histoires, et que nous sommes capables de nous raconter des histoires invraisemblables que nous gobons tous. Je me souviens, il y a dix ans, il était fréquent de tomber sur des gens qui me disaient : « Ah, bah, je passe du Roundup, tu sais, c’est presque biodégradable ». Rétrospectivement, le « presque » fait sourire jaune pour ceux qui sont malades à cause de ces produits.
Il est encore temps, non ?
C.R. Les traces des actions de Singe vont être visibles pour un bon moment, mais est-il encore temps de revoir notre copie, afin que la planète ne devienne pas complètement inhospitalière ?
L.T. Ma grosse inquiétude en tout raisonnement, c’est que si l’on disparaît, probablement que la Terre s’en portera mieux, mais il n’empêche que les gaz à effet de serre que l’on a envoyés dans l’atmosphère provoquent déjà un réchauffement climatique qui est de l’ordre de 3 degrés au minimum dans les siècles à venir, et très probablement plutôt 4 ou 5 degrés… Ceci est déjà suffisant pour stériliser une bonne part des biotopes, certains se retrouveront propulsés sur les parties aujourd’hui très froides de notre monde. Le résultat c’est qu’il y aura probablement des biotopes nouveaux, qui vont repartir à partir d’espèces invasives, sur le grand nord sibérien, canadien, et probablement sur l’Antarctique, d’ici deux ou trois siècles. C’est de là que la vie re-colonisera le monde ensuite.
Cela s’est déjà vu dans le passé suite aux grandes extinction, ou à la Grande Coupure, il y a 34 millions d’années. C’est un épisode qui n’est pas classé comme une grande extinction, mais qui a quand même vu une grande partie du monde vivant disparaître, et dont nous sommes les héritiers biologiques. D’un point de vue absolu ce ne serait pas grave, mais c’est notre échelle à nous qu’il faut questionner. On a développé des outils philosophiques, de l’éthique, des réflexions qui nous lient non seulement entre nous mais également vis-à-vis du monde vivant, et ce que ça nous dit, ces histoires là, c’est que nous devrions commencer à prendre soin du monde vivant. Or on est en train de faire exactement l’inverse ! Le peu que l’on a péniblement réussi à préserver, comme les réserves naturelles, on est en train de le détricoter sous prétexte que ayant moins d’énergie nos infrastructures s’effilochent.
Ainsi, au nom du bien commun, on va autoriser de plus en plus d’atteintes environnementales dans certains endroits. Le bien commun de l’humanité, il faut se le répéter, ce n’est pas la croissance économique, ça c’est un mythe mortifère, mais c’est bien la préservation du vivant à tout prix. Cela veut dire qu’il y a deux attitudes à adopter par rapport à cela, c’est se lever, dénoncer, lutter comme citoyen, et au besoin se révolter à la façon d’Extinction Rébellion.Je pense que si nous voulons assurer un futur décent, et même un futur tout court à nos amis, à nos enfants et à tous ceux qui viendront après nous, il importe de se battre sans aucune concession, car nous faisons face a des adversaires qui sont psychopathologiques effectivement. Ce sont les intérêts des grandes entreprises, et des États qui leur sont naturellement alliés, et l’on fait donc face à une potentielle extinction des écosystèmes.
C.R. Que peut-on penser d’un État ou d’un grand groupe, qui sans procuration officielle agit à la manière d’un dieu, alors que les indicateurs tendent à montrer que l’on pourrait aller droit dans le mur ?
L.T. En fait, personne ne peut-être certain d’aller dans le mur, parce que le futur est inconnaissable par définition. Certains pensent que l’on pourra s’en sortir, sans même passer par la case Destruction, car ils sont nés dans le culte du progrès et dans la religion de l’humanité et sont certains que nous trouverons des solutions…
Ensuite, il y en a d’autres qui sont probablement plus cyniques, dans les élites, qui pensent que l’on peut passer par la case Destruction, mais qui savent aussi que ceux qui ont accumulé beaucoup de moyens et de richesses pourront peut-être faire sécession du reste de l’humanité. Cela provoquerait des effondrements circonstanciés, en larguant des wagons. Nous avons déjà largué celui du Sahel, et nous sommes maintenant en train de vraiment couper les ponts, puisque l’on transforme la Méditerranée en cimetière de façon délibérée, en criminalisant les ONG qui veulent secourir les migrants qui se noient.
Tout cela parce que nous sommes en train de larguer le wagon Afrique dont nous savons que dans les prochaines décennies, il va commencer à sérieusement tanguer pour cause de pauvreté, de croissance des inégalités, et de réchauffement climatique qui va être plus fort là-bas qu’ailleurs. On peut alors imaginer des sociétés de plus en plus inégales. L’inégalité est accélérée par la numérisation du monde, où l’on peut déléguer avec des dispositifs très subtils d’influence, comme l’intelligence artificielle, les réseaux… On peut déléguer des parts de violence acceptables quitte, par exemple, au lieu de mettre des gardes-côtes pour empêcher les migrants de passer, à installer des robots puis, progressivement, au nom de la lutte contre le terrorisme, autoriser ces mêmes robots à tuer, voire, déléguer la gestion de ces machines à des sociétés privées, un peu comme les États-Unis délèguent, sans jugement, le meurtre de supposés djihadistes à des drones et par des sociétés privées sur des théâtres de conflits plus ou moins déclarés.
Bienvenue en dystopie
C.R. Vivons-nous en dystopie ?
L.T. Nous vivons en dystopie, et quand on en était lecteur avant, il y a effectivement des choses qui résonnent. Avant-hier, je suis allé me balader autour de chez moi, qui est une zone traitée pour produire des céréales. J’ai marché dans une terre qui évoque les dernières pages de Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?, de Philip K. Dick, quand Rick Deckard, le héros le traqueur de répliquants, ère dans le monde et cherche désespérément une vie, un insecte encore en vie, et qu’il croit le trouver.
J’ai parcouru des kilomètres de sentier dans des champs de blé traités industriellement depuis vingt ou trente ans, et je n’ai pas vu une seule alouette, je n’ai pas non plus entendu un grillon. Il n’y a plus de vie, les mares sont mortes, la terre est morte. Je l’aurai retournée, je n’aurais peut-être pas trouvé de ver de terre, même les fourmis en ont disparu. Voilà une dystopie que Philip K. Dick avait entrevue. Probablement grâce à la vision de Printemps silencieux, l’ouvrage de Rachel Carson, que nous vivons aujourd’hui. Je vous invite à aller vous promener dans les campagnes.
C.R. Pour éviter le pire la conscience collective, se faisant peut-être plus rapidement qu’on ne le pense, semble s’intéresser aux politiques extrêmes ? On sait qu’il y a une croissance de ces mouvements dans le monde. Quelle pourrait-être la société qui en découlerait ?
L.T. Il y a plusieurs réflexions que je peux livrer pêle-mêle à ce sujet. D’abord, la montée de populismes rimera souvent, et probablement, avec un repli sur soi dans les frontières, et donc, peut-être la substitution du grand récit du capitalisme libre, avec un récit du nationalisme exclusif qui sera moins destructeur pour les milieux, peut-être, parce que moins dynamique dans ces fonctions économiques.
Cela déboucherait aussi très probablement sur des guerres. Donc, la guerre étant la grande rebattrice de cartes, peut-être à la fin d’un certain nombres d’inégalités. Je ne dis pas que ce sera la cas, et aucun futur n’est souhaitable, en l’état actuel des choses. Ce que je dis, c’est qu’il va y avoir des récits alternatifs. Il y a des religieux qui vont arriver en disant qu’ils peuvent sauver le monde de telle façon. Il y a des fachos qui vont arriver en disant « Je peux sauver le monde de telle façon ». Il y a des technophiles qui vont arriver en disant on va faire du forçage génétique : « Je vais vous arranger ça, vous allez voir, vous allez mieux supporter la chaleur » etc. Ou encore, on va faire de la géo ingénierie : « Vous allez voir, on va contrôler le thermostat de la Terre ! »
Enfin, chacun va arriver avec son logiciel de solution. Les écolos traditionnels, ceux que l’on écoute beaucoup en ce moment parce que l’on se dit que peut-être ils ont eu raison dans leurs prédictions, proposent la décroissance : « Nous allons vivre heureux au coin du feu ». Ils n’arrivent pas à convaincre que partager une soupe d’ortie au coin du feu, le soir à la chandelle, c’est un avenir souhaitable. Effectivement, ce serait l’avenir le plus souhaitable parmi les choix technophiles, fachos et fin du monde : le clap de fin !
Au demeurant, il va falloir apprendre, non pas à choisir son futur, mais à prendre le meilleur de chaque récit, même en se pinçant le nez, du moment qu’il n’aboutit pas à un futur pire. Pour cela, il va falloir développer très vite des outils. J’ajoute une chose, c’est qu’on a des fenêtres très courtes. On connaît tous les calculs : douze ans, treize ans, peu importe… On a déjà détruit l’essentiel du biotope sur Terre, ce qui revient à se suicider puisque les biotopes assurent l’équilibre. Ce sont eux qui sont capables d’absorber le carbone en trop dans l’atmosphère. On rase les forêts, on détruit les équilibres marins qui génèrent le plancton et permettent aux océans de respirer, on barre les grands fleuves qui forment des puits de carbone, on assèche les marais… Bref, on ressemble à un fumeur qui déciderait de se brûler les poumons pour accélérer sa mort…
On va devoir changer de récit si l’on veut survivre, et l’on peut changer de récit radicalement parce que nous sommes dans une société de la communication et du récit. Il va y avoir une vague, il va y avoir des vagues, il va falloir surfer, apprendre à surfer dans la tempête, choisir la bonne vague et s’y maintenir coûte que coûte, même si elle s’avère nous mener sur des récifs que l’on n’avait pas entrevu. Mais il faudra être souple dans ces récits. Sinon, si l’on reste dans son logiciel marxiste, écolo compatible, super technophile, facho ou religion révélée, on va dans le mur, parce que l’on ne pourra que combattre le surfeur sur la vague d’à côté.
C.R. Pour reprendre la métaphore Singe du livre, est-ce que dans l’histoire, on trouve une sorte d’équivalent, ou de parallèle, à Singe révolutionnaire ? Et, si oui, comment s’en est-il sorti ?
L.T. On s’en est quand même merveilleusement bien sorti du point de vue de l’évolution. Ce que je montre dans Cataclysmes, c’est que le consensus est que la Terre pouvait accueillir cinq millions de chasseurs cueilleurs. Elle a pu accueillir un milliard de paysans, en 2050 nous pourrions être jusqu’à 10 milliards, majoritairement d’urbains. C’est un succès évolutif sans précédent ! (Si si… Ne me frappez pas).
Car du point de vue de l’évolution ce qui importe, c’est le nombre de gens qui survivent. L’évolution se fout des heurts. Il va pourtant y en avoir, et les dix milliards que l’on prévoit dans une trentaine d’années risquent probablement, si tout se passe vraiment bien, d’être moins d’un milliard en 2100… Si seulement tout se passe vraiment bien !
On a parfois l’impression de faire de l’humour noir, mais alors ? L’évolution repartira. Le problème, c’est que nous, avec notre culture, on a pu abolir les lois de l’évolution, on est effectivement en train de le faire, on est en train de reprogrammer l’évolution. On l’a fait sur les chiens, on l’a fait sur les vaches, les blés, peu importe, on les a modelés à notre guise, et on va le faire sur les humains !
On pensait être plus forts que la nature, mais ce que l’évolution va nous rappeler, c’est que c’est elle qui décide. Aujourd’hui, il vaut mieux essayer de sauver une forêt et se retrouver en taule, que de ne rien faire et de se dire que le grand récit va nous sauver, et que je peux continuer à regarder des vidéos en streaming sur le web… Non, cela ne fonctionne plus comme cela. Je n’ai pas d’autres conseils à donner, car tout le monde est dans le désarroi. Plus on comprend ce qu’il se passe, et plus l’on est écrasé.
L’avenir de Singe, c’est sur Terre ?
C.R. Que pensez-vous des projets comme celui de Jeff Bezos, qui imagine vouloir envoyer 1 000 milliards d’humains dans l’espace, sous formes de colonies, via des vaisseaux qui ressembleraient à des villes et que l’on pourrait reproduire à l’identique
L.T. Le singe est mythomane par nature, et Jeff Bezos est un singe par excellence, c’est peut-être le plus grand mytho de notre temps. Il faudrait faire la même chose, en fait, si l’on voulait vivre bien selon les clichés de cette société : mettre un costard trois pièces, aller voir des investisseurs et leur raconter une connerie monstrueuse du genre : « On peut aller sur Mars et la transformer en planète vivante, il faut juste que vous me donniez 10 000 milliards de dollars ! ».
Et les gens, parce que le capitalisme est ainsi foutu qu’il table sur des récits, lui ont donné des sommes astronomiques pour faire du n’importe quoi… Effectivement, il arrive à faire des fusées, des choses comme ça. Sa capacité à produire du récit, et à le transformer en valeur à partir de l’extraction de valeur réelle dans le monde réel, c’est de la folie pure !
On a un monde qui était merveilleusement vivant il y a 10 000 ans de cela, un monde qui était biologiquement extrêmement divers, un monde qui était écologique de manière systémique, via des points de dynamiques, qui lui permettaient d’entretenir des communautés de vies extraordinaires, dont nous sommes nés. Nous sommes en train de flinguer ce monde, méthodiquement, en long, en large et en travers, et il y en a qui nous disent qu’ils peuvent aller créer de la vie sur Mars ? C’est un bobard, ça ne s’appelle pas autrement que ça : bullshit !
C.R. La conclusion serait donc de dire : « Ne vous trompez pas de récit » ?
L.T. Jef Bezos fait un récit bidon pour gagner du fric. C’est typiquement le genre de récit qu’il faut envoyer aux oubliettes.
Cataclysmes. Une histoire environnementale de l’humanité est paru aux éditions Payot et est disponible chez notre partenaire Decitre.
Laurent Testot a également dirigé plusieurs ouvrages en histoire globale et mondiale, dont Histoire globale. Un autre regard sur le monde etLa Guerre, des origines à nos jours. Par ailleurs, il est l’auteur d’Homo Canis. Une histoire des chiens et de l’humanité.
Il sera enfin présent le 3 décembre prochain à la librairie Epona Picard à Paris pour présenter sa Nouvelle histoire du monde.
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