Des acryliques en béton

Les institutions mettent leurs collections en ligne, les artistes moins connus, comme Régis Lagoeyte, profitent du confinement pour partager sur Internet des œuvres qu'ils ne peuvent exposer.

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Pour le moment, à moins d’être collectionneur, l’on ne peut apprécier l’art autrement que par le prisme des écrans. Certaines œuvres s’invitent au moins chez nous, en ligne : des collections prestigieuses, recensées par France Culture, mais aussi des œuvres plus personnelles, comme celles du peintre et dessinateur Régis Lagoeyte qui nous avait tapé dans l’œil voilà un petit moment déjà.

L’artiste qui pratique le dessin à l’encre, les croquis aux crayons, les gouaches ainsi que d’autres procédés numériques, a récemment choisi de partager quelques acryliques sur son compte Instagram, notamment cette confrontation du vivant au béton, une splendide série aux allures post-apocalyptiques.

Des lieux qui inspirent

Cyprien Rose. Les toiles de cette série semblent peu à peu se vider de l’espèce humaine, les décors ont donc une place importante. Quelques mots sur la naissance et l’inspiration de cette collection ?
Régis Lagoeyte. Jeune ado, j’habitais en banlieue de Limoges, à Beaubreuil et avec mes amis nous arpentions, en nocturne, la zone industrielle toute proche pour trouver des murs à décorer. J’ai peut-être gardé de cette époque un goût pour ces endroits improbables où architecture et esthétique sont des notions… inappropriées. Inclure dans ce décor un animal qui de mon point de vue est, avec le corps humain, ce qui se rapproche le plus d’une forme esthétiquement parfaite, m’a semblé intéressant, sans que je pense à donner un sens. Celui-ci s’est imposé au fur et à mesure de l’avancement du projet.

C.R. Au-delà des décors urbains, deux teintes s’affrontent. Ou plutôt, l’une glisse sur l’autre avec agilité : la couleur de la vie, via le pelage orangé des bêtes, et celle de la ville, froide, humide, dans les tons gris bleuté. Pourquoi ce choix ?
R.L. Pour les premières toiles, l’idée était de trouver un contraste formel entre le bleu pétrole et la chaleur d’un brun orangé. Encore une fois c’est en avançant dans le travail que cet effet a pris sens. Je me suis efforcé en permanence à descendre toute saturation colorée vers le gris, c’est ainsi que j’ai obtenu cet effet d’entre-deux. On ne sait pas vraiment quel est le moment de la journée, s’il va pleuvoir ou pas. Mon souhait était clairement de ne pas aller vers la grandiloquence d’un ciel d’orage par exemple.

C.R. Les toiles s’inscrivent dans une certaine dystopie. C’est une culture qui vous passionne ? Y a-t-il des films qui vous ont marqué au point de vouloir les peindre ?
R.L. Très clairement des films comme Mad Max ou Blade Runner, dans deux styles radicalement différents, m’ont profondément marqué. Mais, formellement, j’ai toujours souhaité m’éloigner des grands espaces ou des cités immenses, pour des formes que je connais, et ramener ces décors flamboyants vers les zones plus modestes d’une ville européenne moyenne.

Suivre son instinct

C.R. En tant qu’amateur de BD, n’avez-vous jamais eu l’envie d’explorer le thème de cette collection afin de créer une aventure ?
R.L. Je suis effectivement féru de bande dessinée, que je considère comme un art majeur. J’ai la chance d’avoir quelques amis qui sont auteurs et/ou dessinateurs et quand je vois le travail que représente la création d’un album, je suis admiratif. Je ne pense pas être capable de la discipline qu’impose ce genre de projet. Certes, j’ai passé plus d’un an à réaliser la trentaine de toiles qui composent cette exposition, mais c’est parce qu’il ne s’agit pas de mon activité principale, et qu’ainsi j’ai pu régulièrement faire des pauses pour retrouver un peu d’inspiration.

C.R. La collection a été exposée à Limoges et à Paris. Bientôt d’autres lieux ? Où peut-on voir vos peintures avant d’en acheter une ?
R.L. C’est très difficile de trouver des lieux d’expositions réunissant les conditions susceptibles de conduire à une vente éventuelle. Les galeries dignes de ce nom sont submergées de demandes, et rarement enclines à prendre le risque d’exposer un quasi-inconnu. Je tiens d’ailleurs ici à remercier et féliciter tous ceux qui ont cru en ce travail, comme Jean-Claude Hyvernaud de la galerie Artset à Limoges.

De plus, je manque singulièrement de temps pour effectuer les démarches. J’adorerais avoir un impresario ! (Rires). Je publie régulièrement mes toiles et mes dessins sur Facebook et Instagram, et je réponds systématiquement à toute demande, remarque, ou sollicitation, y compris sans idée de transaction. J’ai un important projet d’exposition de peinture (ces toiles resteront invisibles, évidemment, avant leur présentation), mais ce n’est pas avant 2021, ou 2022…

C.R. Comment se déroule votre vie en confinement ? Est-elle faite de peinture ou d’explorations graphiques sur cette thématique ?
R.L. J’ai une chance énorme. J’habite dans une maison agréable avec les miens. Nous sommes tous en bonne santé. Je m’inquiète évidemment pour mes proches les plus fragiles ou âgés. J’ai également la chance que mon activité de graphiste continu bon gré dans cette période compliquée. Je profite du confinement pour consacrer un peu plus de temps à mon activité artistique, alors, oui je peins un peu, et surtout je dessine. Je suis en train de faire une série de dessins un peu à la manière d’un journal de confinement. Là encore, le monde animal y trouve une place singulière !

Aurions-nous donc un animal caché au plus profond de nous ?
Régis Lagoeyte est sensible à l’intérêt que peuvent susciter ses “gribouillis”, ainsi qu’aux personnes qui prennent simplement le temps de s’arrêter pour les regarder. N’hésitez pas à le retrouver sur son site personnel ou à vous abonner à sa page Instagram, l’artiste alimente son compte régulièrement.

Cyprien Rose est journaliste, mais aussi DJ et animateur du blog Houz-Motik : "Musique, culture DJ, disque vinyle... Il est parfois question d'Internet, de cinéma et de photographie"