« Tous les goûts sont dans la littérature » annonce ctrlX sur son site. Entre œuvres classiques et textes contemporains, le collectif se positionne comme une alternative sociale et politique, notamment face au traditionnel patriarcat normatif dont les images explicites inondent inlassablement les Internets.
Au cœur du projet oeuvrent six personnes, femmes et hommes, journalistes, acteurs du numérique, de la littérature et du théâtre. S’ajoute ensuite un complément de comédiens selon les besoins de production. Si leur cahiers des charges impose une qualité littéraire, il exige également de devoir partager une éthique commune de la pluralité de la représentation de la sexualité, soit exprimer des points de vu différents, et des interprétations différentes.
Le collectif a noué un partenariat avec l’excellent Aventures Magazine (nom prédestiné car leur histoire se termine après six numéros) pour les savoureuses chroniques du Professeur X (non ce n’est pas Xavier) : Les Précisions linguistiques, écrites par Stéphanie Estournet, journaliste culture et co-fondatrice du projet, qui assure également la communication du collectif. Son principal intérêt dans la vie ? La fiction. Elle a travaillé chez Gallimard, publié un roman, réalisé une thèse de sémiologie et de littérature, et nous accorde un peu de son temps pour présenter leur travail.
Lectures tamisées
Cyprien Rose. Les lectures érotiques dans le noir, cela prend plus de sens ?
Stéphanie Estournet. Dès le départ, on voulait faire ces lectures dans le noir, mais on a commencé par créer le site. Après l’avoir lancé, on nous a tout de suite proposé de faire de la scène, et on a tout de suite répondu : « Oui, on y va ». On n’était pas du tout prêt, et on a été très surpris par le résultat, c’est-à-dire que le retour du public est très fort. On les installe au sol sur des tapis avec des coussins, s’il fait frais on ajoute des couettes…
L’idée c’est « Je suis dans mon lit et on me raconte une histoire ». C’est éventuellement une histoire de cul mais le truc, c’est d’abord que l’on me raconte une histoire. En live, on ne fait pas de texte hardcore. On va bien sûr s’adapter en fonction du lieu où l’on se trouve, mais on fait des trucs plutôt softs… et on essaie d’être un peu marrant. Le fait que le public ne soit pas dans des sièges et qu’ils puissent se frôler, se toucher, se parler à l’oreille, physiquement ça marche super bien.
C.R. Les live ont lieu dans des salles de spectacles ?
S.E. Pour l’instant, on se contente de petites salles, et mon premier métier ce n’est pas du tout de faire tourner une troupe, donc j’apprends au quotidien. On a fait quelques petites salles, mais aussi participé à EroSphère, le festival autour de la sexualité qui a lieu à Paris au mois de juin, où l’on a été très bien accueilli, donc on a envie de développer également cet aspect.
C.R. D’un côté, il y a les lectures en live, et de l’autre les sons disponibles via le site internet. Le contexte d’écoute est donc totalement différent, de même que les sensations, puisque l’on passe du groupe au solo.
S.E. En général, nos textes sont d’abord travaillés pour l’enregistrement et la diffusion sur le site. On commence donc par une lecture brute, suivie d’un travail réalisé par un créateur son, qui peut varier selon les univers. Quand on fait une présentation live, on est obligé de retravailler, car il y a des respirations nécessaires sur scène, il faut prendre davantage de temps, il y a plus de silences par exemple.
On va alors imaginer des moments qui vont s’étirer, que l’on va pousser un peu à l’extrême,. J’adore ces trucs-là, faire surgir des moments de tension.
C.R. Comment se fait le choix des comédiens et comédiennes, il y a un casting, ou vous avez déjà un réseau ?
S.E. J’ai beaucoup de comédiens comme de comédiennes autour de moi, c’est un atout ! C’est surtout les comédiennes notre point fort, d’ailleurs. Elles sont bien plus nombreuses. Tout comme il y a plus de « créateurs son » hommes que femmes, il y a beaucoup plus de comédiennes que de comédiens, et ces derniers sont plus demandés, car il y a plus de rôles masculins, donc ils sont plus difficiles à trouver. Mais d’une manière générale, à partir du moment où on a lancé ctlrX, j’ai été très surprise de la réaction, ça suscite un enthousiasme fou. Les gens veulent en être, ils veulent participer, ils ont un avis, c’est assez chouette comme retour.
Je fais une digression, pour préciser que si c’est fédérateur, c’est aussi contradictoire. Personne ne va miser un kopeck sur de l’érotique, encore maintenant. Il y a ce double tranchant très marqué, où à la fois tout le monde te dit : « C’est mortel, c’est génial, j’adore »… Ok, super, mais si l’on regarde notre page Facebook, il n’y a pas beaucoup de « like », car les gens ne vont pas liker du cul. Pourtant, c’est du cul de rien du tout puisque c’est de la littérature érotique assez soft. Mais il y a encore ce truc de timidité, de pudeur, de faire attention où on met les pieds, particulièrement sur les réseaux sociaux, l’appréhension de ce que l’on montre…
Le sexe texte avant tout
C.R. Comment se fait la sélection des textes ?
S.E. Puisque l’on n’a pas tous le même rapport avec ces choses-là, c’est important que les gens qui sont présents à l’enregistrement aient connaissance des textes en amont pour qu’il n’y ait pas de gênes et pas de problème. Les choix de textes se font avec le comédien, je ne leur dis pas « Tiens, j’ai pensé à ça pour toi », je vais faire un ensemble de propositions, et j’en discute avec l’artiste. Et si j’ai envie que tel comédien ou telle comédienne lise tel texte, ce qui est déjà arrivé, je vais lui dire pourquoi, mais c’est toujours lui ou elle qui décide au final. Il faut faire attention avec cette matière-là, et pour durer avec les gens, il faut en prendre soin.
les plus jeunes, entre 20 et 30 ans, nous disent que ce n’est pas assez cul
C.R. Il faut donc trouver un judicieux compromis entre vos envies, celles des interprètes et le goût des auditeurs et auditrices ?
S.E. Mes choix sont pluriels, dans le sens où j’ai à la fois l’envie de faire du cul brut, on a d’ailleurs fait des trucs vraiment Porn, mais aussi celle de présenter des choses plus politiques, des textes qui vont être entre deux, qui vont peut-être être de l’ordre de la subversion. La littérature érotique reste une littérature subversive, un espace de liberté et de choix personnels, et ça, c’est quand même la première des choses que l’on a envie de mettre en avant.
Je suis passionnée de littérature, donc j’accorde une priorité aux textes de qualité. Certes, on peut en trouver certains peut-être un petit peu plus “bad”, parce que je me suis dit : « Bon, on va quand même mettre un peu de cul en avant » ! Il faut dire qu’on nous a pas mal reproché, particulièrement les plus jeunes, entre 20 et 30 ans, d’être trop softs. En creux, j’entends « C’est trop littéraire, on a envie d’un support masturbatoire audio, c’est ce que je suis venu chercher, et je ne l’ai pas ». Pour ma part, je ne fais pas ce genre de support, ce n’est vraiment pas mon intention. Après, si les gens se paluchent dessus j’en suis ravie, mais l’intention de départ n’est pas de faire du Pornhub.
Binge branling vs littérature émotionnelle
C.R. Le fait que des jeunes gens soient dans cette attente, c’est révélateur d’un marché autour du podcast érotique ?
S.E. Je ne sais pas dans quelle mesure ils le sont… En tout cas, c’est l’explosion du podcast, donc ils ont peut-être une attente dans ce domaine. D’ailleurs, Audible, qui a très bien compris cela, développe sa collection libido. Olympe de G par exemple a fait un truc super bien, 5 ou 6 minutes d’audio strictement pornographiques, c’est super bien fait. Mais est-ce que c’est ça que veut le jeune public ? Je l’ignore. Le truc aussi, c’est quand il y a des articles sur nous, nécessairement il faut que l’on entre dans une case. Or la case, c’est soit « Cul », soit « Porn », soit « Érotique ». L’ensemble de ces termes évoquant un support masturbatoire, quand on tombe ensuite sur un truc de Pierre Louÿs, on peut être assez surpris.
C.R. Le sens du mot érotisme est-il galvaudé ?
S.E. J’ai pas mal réfléchi à toutes ces histoires de terminologies, parce que c’est mon travail, et c’est effectivement compliqué. Il y a des mots qui font peur. D’un côté, on doit être explicite, donc on ne peut pas vraiment mettre de nuances. Mais si l’on ne met pas de nuances, le propos lui-même est éradiqué ! Moi, le terme érotique ne me convient pas, il est creux, et la pornographie renvoie à autre chose.
C.R. À l’industrie ?
S.E. Oui, à l’industrie, absolument. Il y a aussi « Explicite » mais… bof. Alors parfois j’utilise « Lecture amoureuse », mais ça fait un peu con-con.
C.R. Et « cul », tout seul ? Les éditions requins-marteaux ont leur division B.D Cul, on comprend bien l’appellation et de quoi il s’agit.
S.E. Peut-être aussi parce que c’est les requins-marteaux… Moi j’adapte mon vocabulaire comme ce que m’a demandé Audible, en fonction du média auquel je parle… ou quand j’explique à ma mère ce que je fais !
L’érotisme, contexte #Metoo
C.R. L’époque actuelle est-elle plus difficile pour parler simplement de ce genre de textes ?
S.E. On constate que le prisme post-Weinstein a tout emporté sur son passage. Je précise que l’on était là avant cette actualité (Rires) ! En fait, ça a pris tout son sens, on est vachement calé sur les événements. C’est difficile d’aborder quoi que ce soit qui tourne autour des relations hommes-femmes, ou homosexuelles d’ailleurs, en faisant abstraction de ce contexte. C’est certainement un passage nécessaire, et en même temps ça réduit le discours.
C.R. Est-ce que cela joue sur le choix des textes ?
S.E. Pour les textes, à l’heure actuelle, notre principal souci c’est qu’obtenir les droits c’est un truc de fou. La durée de nos lectures se situe entre cinq et vingt-cinq minutes, je crois que le texte le plus long qu’on ait fait, Le Mort de Georges Bataille, doit durer un quart d’heure. Obtenir les droits pour ce type d’extraits, c’est du domaine de l’impossible, sur cette thématique tout particulièrement. Il faut joindre un éditeur, et les éditeurs parlent peu, à part peut-être entre eux… Pourtant j’ai travaillé cinq ans chez Gallimard, ce n’est pas comme si je ne connaissais pas le milieu. Heureusement, il y a aussi des petits éditeurs qui fonctionnent sur du libre de droits, et certaines maisons ont très bien compris et, pour le coup, marchent complètement avec nous, notamment La Musardine, Tabou ou encore le Tripode.
ctrlX : érotisme audiophile ?
C.R. Lorsque l’on écoute des sons sur le site, parfois on accroche tout de suite mais d’autres fois, c’est moins évident. Au delà du travail des voix, comment envisagez vous le mix et le montage ?
S.E. C’est plutôt sain, le fait que tu entres ou pas dans certains textes, l’idée étant d’avoir un patchwork de propositions sonores, lié à toutes sortes de sexualités. C’est donc important d’avoir des représentations multiples et des voix multiples, et des textes multiples. Je travaille notamment avec Marc Pernet qui est mon grand manitou du son, qui est un créateur, j’adore ce qu’il fait. Il travaille beaucoup en télé et fait aussi des trucs plus personnels. Il chapeaute l’ensemble, pas mal de ses créations sont sur le site, et quand on fait appel à d’autres créateurs, il est là pour valider la partie sonore. Par exemple, si c’est trop musical, ou trop lourd. C’est notamment lui qui a demandé à ce qu’il n’y ait plus de gémissements, afin d’aller au-delà des lieux communs. On donne deux ou trois idées de départ, on discute des ambiances avec la personne qui s’occupe du son, Marc ou quelqu’un d’autre, et on travaille aussi avec Philippe Guerrieri, qui est musicien. Il va créer des sons, et illustrer avec ses propres sons, alors que Marc a une autre approche du travail
C.R. En matière de représentation de la sexualité, que le spectre soit large est une excellente chose, mais il est parfois difficile de trouver le parfait dosage entre la voix, le texte et le jeu. Sur quelques lectures, j’ai parfois eu cette sensation d’un peu de trop lu, plus que joué.
S.E. On ne veut pas non plus être dans une représentation, on ne fait pas du France Culture, pas de fiction, donc on est tout le temps sur le fil. Par exemple sur le texte de Guillaume Dustan, juste après je n’étais pas super-convaincue. On a pris quelqu’un de non professionnel, c’est une personne qui fait des voix off, ce qui n’est pas nécessairement dans ce type d’exercice habituellement. Mais ce qu’on m’a rapporté, c’est que ça fonctionnait, justement parce que c’est un texte d’initiation à propos d’une personne qui ne connaît pas les backrooms et qui y va pour la première fois. Les retours sont plutôt bons sur le dosage texte et timidité du gars dans la lecture.
je voudrais faire lire Philip Katerine !
C.R. Vous avez déjà pensé à en faire une déclinaison vidéo, où l’on voit la personne en lecture, même en lumière tamisée ?
S.E. Oui, et ce n’est pas exclu qu’on le fasse un jour, notamment pour installer notre chaîne sur Youtube. On pense à tellement de choses, mais pour le moment on ne dégage pas de bénéfice. Il y a un truc qui me fait très envie, pour ctrlX : je rêve de faire lire un texte à des gens qui ne soient pas forcément des comédiens, et dont la voix m’emmène quelque part, même si elle est utilisée à contre-courant. Par exemple, je voudrais faire lire Philip Katerine ! Je veux bien qu’il enlève sa moustache et qu’il vienne faire des trucs avec nous, mais aussi des gens de radios. J’aimerais bien Nicolas Demorand par exemple, ou Pujadas… Mais mon carnet d’adresses est limité en VIP, et puis il faut surtout les convaincre.
C.R. Puisqu’il est question d’argent, quel est votre modèle économique ?
S.E. Nous on est punk, on est No Future, on fait du subversif. Il n’y a absolument pas de business plan. Quand on a lancé l’activité, on ne s’est pas du tout posé cette question, mais plutôt celle du contenu. Puis des idées pour monétiser sont venues et on s’est dit que l’on allait essayer, pour voir ce que cela donne. Il y a différentes options. Déjà avec le live, si on se développe davantage… On peut aussi imaginer une offre premium. Si effectivement j’arrive un jour à avoir Philippe Katerine, je ne vais pas le balancer gratuitement à la foule en délire.
C.R. J’imagine que les idée ne manquent pas.
S.E. On souhaite aussi faire des textes en anglais, l’idée étant de s’ouvrir davantage. On est sur Deezer, on devrait être sur Amazon podcast. Ils sont venus nous chercher… Puis ils ont finalement dit que ça faisait peur, mais ce n’est pas exclu que l’on trouve un terrain d’entente. Audible nous a également sollicités pour que l’on réalise des bouquins pour eux, c’est en discussion. J’aimerais adapter des BD, mais là aussi ça coûte cher, car il y aurait quand même une mise en images.
C.R. Et sur scène ?
S.E. Quand on est en live, on mixe en direct, donc on pourrait faire de l’accompagnement de marques sur des lancements de produits, car on produit quand même des sons assez élaborés, et très beaux. On pourrait accompagner, d’un point de vu sonore, des marques de couture Femme qui pourraient coller avec ce que l’on fait. Je me dis qu’un jour on va rencontrer la bonne personne, pour nous accompagner sur la partie développement… À bon entendeur !
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