Peu d’endroits sur Terre font moins envie que le Soudan. Le pays est riche en pétrole, ce qui est on le sait généralement une malédiction, les dirigeants ayant alors tendance à se reposer sur ce seul facteur pour assurer son financement, au détriment du développement ou du soutien aux populations. Le pays a connu 25 ans de guerre civile ethnique, auxquelles ont succédé la guerre du Darfour, ses 300 000 morts et ses millions de déplacés. Il est dirigé, depuis 2 ans, par une « conseil militaire de transition » —une junte qui repousse sans cesse les élections promises. Enfin, situé entre l’Éthiopie et l’Érythrée, il connaît un climat aride que le changement climatique aggrave de toute sa force.
C’est ce dernier problème que l’ONU veut résoudre, alors que la désertification menace un déjà très précaire équilibre alimentaire : 50 % de ses 43 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Le réchauffement est une menace existentielle pour le pays : l’agriculture et l’élevage représentent 43 % des emplois, 30 % du PIB.
En bref, c’est la catastrophe, mais l’ONU veut croire qu’elle peut changer les choses.
Conseils de village et formations agricoles
Comment sauver le Soudan ? D’abord, pour les Nations Unies, il ne s’agit pas —en tout cas pas dans le cadre de ce programme— de s’attaquer aux plaies politiques du Soudan. Mais de s’attaquer au plus crucial, au plus immédiat : la survie, et donc le travail, des fermiers.
L’organisation a à cette fin créé un programme de soutien centré sur 43 communautés établies le long du Nil Blanc, « avec un focus particulier sur les femmes et les solutions offertes par la nature », précise Crise de l’eau au Soudan : les femmes contre-attaquent, un rapport d’étape présenté sous la forme de reportage.
Depuis 2018, avec l’aide du Haut Conseil Soudanais à l’Environnement et aux Ressources Naturelles, la méthode est la suivante : d’abord, implanter un conseil de village dédié, au sein duquel doivent figurer un minimum de 30 % de femmes (on sait depuis longtemps qu’aider les femmes à exercer le pouvoir rejaillit positivement, d’un strict point de vue économique, sur l’ensemble d’un pays ou d’une région). Ensuite, celui-ci examine les problèmes spécifiques apportés par le changement climatique, et les solutions immédiates qu’il est possible d’appliquer. L’ONU procure aussi des formations où et quand c’est nécessaire.
La nature au secours de l’eau
Le rapport cite un exemple :
« Pour Nima Elmassad, agricultrice, le temps a commencé à changer il y a environ sept ans. Dans son État du sud soudanais, les pluies sont arrivées plus tard, et plus aléatoirement. Durant cette longue et difficile saison sèche, ses enfant devaient voyager trois heures chaque jour pour récupérer de l’eau. Tous, sauf un, ont quitté l’école. L’âne familial, qui transportait leur citerne, s’est affaibli progressivement. « C’est quand il est mort que nous avons vraiment commencé à souffrir », se souvient-elle. J’ai dû mendier de l’eau aux voisins, pour boire et pour la cuisine. Je ne me lavais qu’une fois par semaine. »
C’est alors qu’est implanté le conseil amené par l’ONU, où elle siège. Désormais, un réservoir de 30 000 mètres cube collecte les pluies des saisons humides, pour les conserver toute l’année. Ses enfants ont pu reprendre l’école. On a commencé à cultiver des espèces résistantes à la chaleur et à haut rendement, comme l’arachide et le sésame. Les graines ont été fournies par le projet. Les femmes ont été formées à l’utilisation des fongicides, ont appris des méthodes de stockage plus efficaces pour protéger les récoltes de la moisissure et des nuisibles.
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Et le village a planté des arbres fruitiers. Pour la nourriture, mais aussi pour la fraîcheur : « Les recherches démontrent que, par une journée ensoleillée, un seul arbre en bonne santé peut avoir autant d’effet que deux climatiseurs domestiques en 24 heures », rappelle l’UNEP (United Nations Environment Program), qui affirme avoir littéralement sauvé 4 000 hectares de sol, et 8 000 foyers. Le projet doit encore s’étendre.
Aider sans aider
Les formations, les conseils de village, les initiatives concrètes au plus près du terrain. Ce n’est pas complètement un hasard si l’UNEP se focalise sur ce genre de solutions. C’est aussi un moyen de venir en aide aux populations, sans soutenir directement, ni surtout financer, la dictature au pouvoir, condamnée par à peu près toute la communauté internationale, et sous l’effet de sanctions occidentales.
« Le succès ou l’échec de ces initiatives, au Darfour et au Nil Blanc montrera à la communauté internationale s’il peut s’agir, ou non, de modèles pour les autres pays en développement frappés par la désertification et la raréfaction de l’eau », résumait Austin Bodetti dans The New Arab, tout en notant que « entretemps, les fermières soudanaises auront montré à leur propres communautés rurales que l’égalité de genre peut accompagner la résistance au changement climatique. »
Et prouvé que la guerre pour l’eau, pacifique, pourra remplacer, avec l’aide d’un peu d’égalité sociale, les fratricides guerres de l’eau qui pointent à l’horizon.
À toutes fins utiles, rappelons qu’un horizon, c’est fait pour ne jamais être rejoint.