La particularité de l’artiste ? Yang Yongliang pratique la photographie numérique à la manière d’un peintre. Auprès du maître calligraphe Yang Yang, Yang Yongliang apprend la peinture traditionnelle chinoise pendant dix ans. Il nourrit également sa passion pour l’image avec l’apprentissage de la photographie, de la vidéo et des arts plastiques, sort diplômé du Shanghai Institute of Design, et enseigne actuellement au Shanghai Institute of Vision Art.
Ses paysages sont issus de sa propre photothèque, constituée au fil des années et de ses déplacements. Son travail sollicite les techniques modernes et anciennes : les images originales créées numériquement sont imprimées en négatif sur une feuille de papier beaux-arts, puis chaque image est photographiée à l’aide d’une chambre photographique. Le film est alors présenté dans un écrin de bois rétro-éclairé. L’artiste souhaite préserver l’image digitale sur un tirage traditionnel.
La puissance de Yang Yongliang c’est son regard critique sur l’évolution de son pays, entre création et destruction. Impossible de ne pas penser à l’urbanisation outrancière, à la pollution, et plus largement au réchauffement climatique. Problèmes qui concerne évidemment bien au-delà de sa seule Chine natale. L’artiste interroge nos consciences, tout du moins notre conscience collective. Mais s’il questionne les grands problèmes de nos sociétés, Yang Yongliang évoque aussi une possible réconciliation entre tradition et modernité, entre nature et culture.
L’exposition Time Immemorial sublime le réel et invoque le spirituel. Ses temps immémoriaux sont comme des futurs antérieurs, l’artiste s’inspire du passé et du présent pour livrer une vision onirique de l’avenir. Ses assemblages, où se mêlent montagnes et villes, provoquent une temporalité visuelle instantanée : cela pourrait arriver, comme cela pourrait avoir déjà eu lieu… D’une certaine manière Yang Yongliang a créé sa propre machine à voyager dans le temps, et la mise en espace de l’exposition confirme le processus. Quand l’un des murs de la galerie fait le jeu des écrans plats modernes, celui d’en face oppose des cadres de bois traditionnels de la tradition pictural chinoise.
Ses compositions postmodernes séduisent, troublent et bousculent, comme ses trois vidéos qui exploitent pour la première fois la technologie 4K, Prevailing Wind, Endless Streams et l’incroyable Journey to the Dark, cette vidéo nocturne d’une ville sur un immense écran plat qui hypnotise les visiteurs. De loin, la ville semble réelle, et l’on découvre rapidement qu’elle l’est… à sa manière ! Les détails attirent l’œil, des fenêtres s’allument, des bateaux glissent sur une eau sombre, des voitures circulent çà et là, on se croirait presque dans une version orientale de Blade Runner…
Avec cette grande mégapole qui occupe un relief parfois escarpé, l’artiste reproduit à la perfection la sensation que l’on peut avoir lorsqu’on observe une ville la nuit. Une émotion double, qui sollicite à la fois le collectif et l’individuel : d’un côté, le fait d’appartenir à la civilisation d’une urbanité massive, et de l’autre, la projection du soi dans la vie des personnes qui y vivent, qui allument et éteignent ces lumières. The Day of Perpetual Night est un travail plus ancien mais l’ambiance nocturne est assez proche.
L’exposition propose également l’installation immersive Eternal Landscape, qui permet au spectateur, à l’aide d’un casque de réalité virtuelle, de plonger au milieu des ruines dans l’univers achromatique de l’artiste. La confrontation entre l’homme et la nature se poursuit avec le film Fall into oblivion, où l’on est témoin des déambulations urbaines d’un personnage vêtu d’une armure de Kendo, une figure solitaire au milieu d’une métropole occupée. Un scénario influencé par la lecture de « Peach Blossom Spring » de Tao Yuanming.
Après la visite de l’exposition, on se prend un instant à rêver que le kitsch des tableaux lumineux animés d’une cascade, que l’on trouve dans les restaurants Chinois, soient désormais remplacés par des oeuvres animées de Yang Yongliang.
Time Immemorial, jusqu’au 13 janvier 2017, à la Galerie Paris-Beijing, 62, rue de Turbigo – 75003 Paris