par Romaric Gergorin
Son opéra Kopernikus, mis en scène par Peter Sellars, déploie avec éclat toutes les forces de l’esprit, venues de la grande culture occidentale autant que des cérémonies orientales et se joue à Montreuil le 17 et 19 décembre prochains.
Enfant terrible de la musique contemporaine, Claude Vivier fut un compositeur habité par la mort, thème qui parcourt son œuvre jusqu’à ses ultimes opus et dont sa disparition tragique et pasolinienne est l’accomplissement, lorsqu’il fut sauvagement assassiné de 45 coups de couteau à 34 ans par un jeune amant criminel. Kopernikus, son unique opéra créé à Montréal en 1980, s’inscrit dans cette démarche, mettant en scène un saisissant rituel de mort.
Le personnage principal, Agni, force agissante du védisme et dieu hindou du feu, rencontre dans ses rêves plusieurs figures essentielles de la culture et des arts : Merlin l’enchanteur, la Reine de la nuit de La Flute enchantée, Mozart, Lewis Carroll, Tristan et Isolde, Copernic et quelques autres. Mélangeant les onomatopées d’une langue qu’il invente, glossolalie toute personnelle, avec des dialogues d’une poésie syncrétique, Claude Vivier crée un opéra fait d’incantations purificatrices à partir d’harmonies horizontales raffinées.
Pour arriver à une nouvelle forme opératique il élabore une formule hors de toute mesure, issue de la radicalité de son maître Stockhausen dont il fut l’étudiant puis l’assistant. Dans cet agencement hétérogène il infuse à des structures répétitives une identité spectrale, ce qui donne naissance à une aura fantomatique unique en son genre. « Le musicien doit organiser non plus de la musique mais des séances de révélation, des séances d’incantation des forces de la nature, des forces qui ont existé, existent et existeront, des forces qui sont la vérité. Toute révolution véritable n’est faite que pour remettre une civilisation qui s’en est détachée sur le chemin de ces forces » expliqua le compositeur canadien qui envisagea dans sa jeunesse de devenir prêtre.
Metteur en scène inventif n’hésitant pas à bouleverser les œuvres dont il s’empare, Peter Sellars crée pour Kopernikus un dispositif autour d’un gisant allongé au milieu de la scène, le danseur Michael Schumacher, entouré de sept chanteurs et sept instrumentistes tout de blanc vêtus. D’un téléviseur encastré sous le catafalque, une jeune femme apparait à l’image pour annoncer le début de cette cérémonie transfiguratrice, récitant un texte supposé être de Lewis Carroll.
Puis commence ledit rituel, entre psalmodies et onirisme cosmique, anabase blanche et transparente, montée des esprits dans un entre-deux mystérieux. Chaque instrument du septuor de l’Ensemble L’Instant Donné double chaque chanteur soliste de l’Ensemble vocal Roomful of Teeth, mais le chœur reste le personnage principal de cette veillée funéraire qui se conclut par un départ processionnel des quatorze interprètes par les sorties de l’Espace Cardin.
Ainsi la scène vide, les spectateurs se retrouvent seuls face aux derniers échos venus des coulisses de cette époustouflante mystagogie inspirée des cérémonies crématoires de Bali, qui cherche et trouve pleinement l’ataraxie et les splendeurs intériorisées de l’âme apaisée, enfin réconciliée avec elle-même.
Kopernikus de Claude Vivier, mis en scène par Peter Sellars, présenté le 4 décembre 2018 au Théâtre de la Ville-Espace Cardin, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, est à voir au Nouveau théâtre de Montreuil du 17 au 19 décembre.
L’auteur
Romaric Gergorin est critique (art, littérature, musique) et essayiste.
Dernier ouvrage paru : Erik Satie (éditions Actes Sud).