Tristram : une « association de malfaiteurs » fête ses 30 ans dans l’édition

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Couverture de l'anthologie de Tristram, "Association de malfaiteurs" (Détail).

La rentrée littéraire vient de s’achever, nous laissant profiter d’un temps fructueux, celui de la réflexion. Voir ce qu’il reste de l’écume de ces jours fastes remplis de lectures, septembre et son mois de rattrapage, octobre. Tâcher de corriger aussi, à notre niveau, certaines injustices au sujet de livres snobés par les médias mainstream, ceux qui sortent des rangs donc, du circuit programmé d’avance, qui va des suppléments de magazine aux prix littéraires, et tutti quanti. Et des éditeurs qui les défendent.

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Sylvie Martigny et Jean-Hubert Gailliot, les têtes pensantes des éditions Tristram, © Danielle Swinton, courtesy Tristram

 

L’éditeur qui bouscule

Ainsi de Tristram, petit éditeur indépendant dont le parcours fascinant rappelle qu’il suffit parfois de faire de bons livres pour que ça marche. Tristram, à l’origine, ce sont Sylvie Martigny et Jean-Hubert Gailliot, esprits libres et intempestifs. Pour fêter leurs 30 ans, ce tandem éditorial publie comme un manifeste une anthologie de textes, souvent inédits, des auteurs de la maison. Une « association de malfaiteurs » comme ils la nomment, soit Hunter S. Thompson, Kenneth Anger, Willem, Nina Allan, William T. Vollmann, Patti Smith ou encore David Bowie, pour n’en citer que quelque uns.

Tout part d’un désir, « avec un mélange d’insouciance et de mauvais esprit, de lancer des brûlots, publier ce qui ne répond à aucune demande », expliquent nos deux éditeurs. Leur premier projet ? Un CD de Valère Novarina. Un libraire du boulevard Saint-Germain l’accueillera en leur disant : « Nous ne vendons pas de casseroles ». Deuxième titre : ce désormais classique mais toujours aussi scandaleux écrivain qu’on aime tant à Postap Mag, le comte de Lautréamont, dont Tristram réédite le manifeste intitulé Poésies. Philippe Sollers en fera l’éloge en première page du Monde : « Quelle bonne et vicieuse idée, et quelle démonstration que cela n’intéresse pratiquement personne ! »

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Photo de Charles Auringer, extraite de la la biographie « Lester Bangs : mégatonnique rock critic », par Jim DeRogatis © Tristram

 
Il y aura ensuite Lester Bangs, le rock critique américain disciple de Kerouac et génie absolu, « accélérateur numéro Un des aventures Tristram », dixit leur éditeur. Quand Psychotic Reactions and Carburetor Dung paraît aux États-Unis en 1987, cinq ans après la mort de son auteur, les deux acolytes filent à Francfort en acheter les droits. En découlera un livre de Patti Smith (via son agent américain, qui entend parler de l’éditeur français de Bangs).

Textes incorrects et littérature clandestine

Tristam fait aussi redécouvrir Le Tutu, ce roman d’avant-garde de la mystérieuse Princesse Sapho, pseudonyme apparu à la fin du XIX° siècle. Son auteur présumé, Léon Genonceaux, aurait réédité Les chants de Maldoror de notre cher Lautréamont et regroupé le premier recueil de poèmes de Rimbaud sous le titre Reliquaires. Ils publient de même le premier roman de Maurice Girodias, le fameux créateur de la maison Olympia Press, dont le père Jack Kahane édita sous le manteau Anaïs Nin, Arthur Miller, et le fils les premiers livres de Beckett, Burroughs, ou encore le Lolita de Nabokov. « La poésie nouvelle, plus que jamais, reste invisible », commentent Martigny et Gailliot. « Quand elle existe ».

On trouve donc tout cela, et bien d’autres choses encore, dans l’extraordinaire anthologie Association de malfaiteurs. Lisez aussi la nouvelle lunaire de David Bowie, Le journal de Nathan Alder, ou le meurtre artistique-rituel de Baby Grace Blue. Sous-titrée Un hyper-cycle dramatique gothique non-linéaire, publiée pour la première fois en français à l’initiative des éditions Tristram, dans le numéro 54 de la revue L’infini (Gallimard, printemps 1996). Une sorte de journal intime d’un psychopathe, docteur maboul et savant fou, entre cauchemar éveillé et hallucination à dormir debout. « C’est à 5 h 47 précises, le matin du vendredi 31 décembre 1999, commence Bowie, qu’un pluraliste d’humeur sombre entama la dissection de « Baby Grace », âgée de quatorze ans. Les bras de la victime furent hérissés de seize aiguilles hypodermiques y injectant quatre conservateurs principaux, des agents de coloration, des fluides de transport d’information mémorielle, et un peu de matière verdâtre. » Le journal de Nathan Adler est quant à lui une petite merveille de psychédélisme littéraire, furieusement futuriste et un peu glauque, à l’image de la trilogie berlinoise du Duke.

En conclusion, l’anthologie Association de malfaiteurs a le bon goût de nous laisser méditer sur les principes fondateurs de la censure, exhumés par l’auteur d’H(a)ystérie : le code de la pudeur à Hollywood du cinéaste Kenneth Anger. Celui-ci nous permet en effet de redécouvrir, tels quels et, précisément, non censurés, les trois premiers articles, et principes généraux, du célèbre code Hayes qui codifia des années durant les règles, obligatoires et strictes, de la « décence » dans le cinéma hollywood :

« 1.     Aucun film ne sera réalisé qui puisse abaisser le niveau moral des spectateurs. Aussi n’amènera-t-on jamais le spectateur à prendre le parti du crime, du mal et du péché.

2.     Les genres de vie décrits dans le film seront corrects, compte tenu des exigences particulières du drame et du spectacle.

3.     La loi, naturelle ou humaine, ne sera pas tournée en ridicule et la sympathie de l’auditoire n’ira pas ceux qui la violent. »

Puisse Tristram encore longtemps défendre les genres de vie incorrects… Compte tenu des exigences particulières du drame et du spectacle.

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