par Romaric Gergorin
Après avoir donné récemment une excellente nouvelle production de Katia Kabanova de Janacek, l’Opéra de Nancy continue de rafraichir les chefs d’œuvres en proposant un retour aux sources du théâtre verdien pour ce Bal masqué flamboyant. Verdi fut un fervent soutien du Risorgimento, combat pour l’unification italienne, ainsi qu’un républicain convaincu, avant de s’orienter vers un conservatisme désabusé.
Ses convictions politiques s’entendent dans son œuvre qui s’empare du politique pour construire des trajectoires tragiques, comme celle de Simon Boccanegra, corsaire devenu doge de Venise qui meurt assassiné pour des motifs d’ordre privés. Car chez le compositeur italien, les motifs amoureux sont toujours intriqués et contrariés par des enjeux politiques. Les tensions entre le devoir et la passion deviennent chez Verdi un subtil décalage du conflit entre Eros et Agapé, l’amour sensuel contre l’amour désintéressé.
Dans Un Bal masqué, Verdi s’inspire d’un événement réel, l’assassinat du roi de Suède Gustave III lors d’un bal masqué à l’Opéra de Stockholm en 1792. Ce roi réformateur s’allia avec la bourgeoisie et la paysannerie pour réformer son pays, s’attirant ainsi le mécontentement d’une partie de la noblesse qui se fédéra pour le faire disparaitre par quelques-uns de ses membres les plus déterminés. Plusieurs compositeurs avaient déjà utilisé cet épisode tragique pour en faire un opéra, dont Auber et son incontournable librettiste Scribe. Verdi transforme cet événement politique pour en faire une histoire d’amour entre le roi et la femme de son secrétaire et principal conseiller, avec en toile de fond une intrigue de conjurés déterminés à le renverser.
Ainsi, Gustave III prépare un bal masqué et s’impatiente d’y voir Amélia, la femme de son fidèle conseiller le comte Ankarström, dont il est tombé amoureux, quand un juge surgit pour lui demander d’arrêter une devineresse, diseuse de bonne aventure supposée dangereuse. Libéral et tolérant, le roi préfère plutôt lui rendre visite, déguisé. Dans son bouge, la sibylle, Madame Arvidson lui prédit qu’il mourra assassiné par un proche, le premier qui lui serrera la main. Alors que personne n’ose le toucher suite à cette funeste prédiction, surgit le comte Ankarström, qui lui serre la main en le prévenant de la présence d’opposants. Le roi ne peut croire à cette prophétie, en constatant que c’est son plus proche ami qui devrait accomplir cet acte.
Plus tard, à minuit, dans un cimetière, devant un gibet, Amélia est venue cueillir une herbe censée la guérir de son amour pour le roi, sous les conseils de la sibylle, quand celui-ci survient et lui déclare son amour. Arrive Ankarström prévenant le roi que des conjurés l’ont suivi et s’apprêtent à s’emparer de lui. Le roi accepte de fuir et que Ankarström se substitue à lui dans cet étrange rendez-vous galant. Le fidèle conseiller se rend compte que celle qu’il protège et qui était avec le roi n’est nulle autre que son épouse Amélia… Déconfit, il décide de rallier les conjurés et tuera le roi au cours du bal masqué, avant de se rendre compte que celui-ci n’avait jamais consommé son idylle avec Amélia et s’apprêtait à les envoyer tous deux à l’étranger pour les éloigner de lui et se purger de cet amour impossible.
Cette histoire parmi les plus shakespeariennes de Verdi est mise en scène avec efficacité par Waut Koeken à l’Opéra national de Lorraine, en créant un dispositif baroque qui dévoile délibérément ses artifices. Utilisant le livret original qui place l’intrigue en Suède, et non la version censurée qui contraignit Verdi à la situer à Boston et transformer le roi en gouverneur diplomate, cette production attractive joue sur les artifices de la machinerie théâtrâle. Pour mieux dévoiler l’ambiguïté thématique ici déployée par Verdi, la mise en scène passe constamment de la distanciation ironique au drame sentimental, avec toujours cet arrière fond politique. La distribution est convaincante, avec un impérial Stefano Secco en Gustave III, Hila Baggio irrésistible en page du roi et d’honnêtes prestations de Rachele Stanisci en Amélia et Giovanni Meoni en comte Anckarström. Dans la fosse, Rani Calderon, le directeur musical de Nancy insuffle une énergie de tous les instants à l’orchestre symphonique de Nancy.
Un Bal masqué de Verdi, dirigé par Rani Calderon, mis en scène par Waut Koeken, à l’Opéra national de Lorraine jusqu’au 5 avril 2018. Opera-national-lorraine.fr
L’auteur
Romaric Gergorin est critique (art, littérature, musique) et essayiste.
Dernier ouvrage paru : Erik Satie (éditions Actes Sud).