Rien n’est perdu : tout se transforme

Alors que des œuvres millénaires trustent encore le tourisme de masse en Égypte, une exposition entend replacer l’identité égyptienne sur la carte internationale de la culture et de l'art contemporain. Nous avons déniché quelques images, mais pour apprécier le résultat de ses propres yeux, il faut se rendre au Caire avant le 27 novembre.

Temps de lecture : 6 minutes

par Romaric Gergorin

Si l’Égypte évoque généralement les turbulences politiques de ces dernières années, on connaît finalement peu de choses de la richesse culturelle qui a été produite et collectée dans ce pays au début du XX° siècle. On comprend donc assez peu de choses son art moderne ou contemporain, qui tous deux, pour une bonne part, tendent à retranscrire les enjeux sociaux, politiques et culturels actuels de l’identité égyptienne.

Nadine Abdel Ghaffar souhaite replaçer l’Égypte sur la carte internationale de l’art et de la culture contemporaine. Conservatrice au sein de la société multidisciplinaire Art d’Égypte, elle est à l’initiative de l’exposition “Nothing Vanishes, Everything Transforms” au musée du palais de Manial, récemment rouvert, au Caire.

Promouvoir la Culture et l’Art Égyptien n’est pas simplement un métier ou un loisir pour moi, c’est aussi une question de survie pour la nation (Nadine Abdel Ghaffar, source Egyptian Streets)

Le choix du lieu est pertinent. Construit au début du XX° siècle sous l’œil vigilant du prince Mohammed Ali Tewfik (1875 – 1954), ce palais est situé dans la moitié nord de l’île Rhoda du Caire dans un somptueux mélange stylistique allant du rococo à l’Art Nouveau en passant par le persan et d’autres influences. En 1902, le prince avait acheté une parcelle de 61 711 mètres carrés : il s’agissait à l’époque d’un magnifique jardin abritant la résidence d’un Français, Louis Marie-Joseph d’Aumont, dixième duc d’Aumont et de Villequier (1809-1888). Le prince élabora personnellement les plans architecturaux et dirigea chaque détail de la construction et de la décoration du palais et de ses jardins. L’œuvre, achevée en 1937, reflète sa personnalité, sa culture et son amour pour l’art.

Depuis, le palais fournit un îlot de culture et de tranquillité, face à la poussière et à la tourmente d’un Caire en pleine modernisation, et abrite notamment l’art, les meubles, les vêtements, l’argent, la collection d’objets d’art et les manuscrits médiévaux du Moyen-âge du prince. Si l’anachronisme peut dérouter, l’endroit constitue néanmoins un environnement saisissant pour une interprétation de l’identité égyptienne moderne, et c’est dans cette dynamique transgénérationnelle que Nadine Abdel Ghaffar a conçu cette exposition avec vingt-huit des plus grands artistes contemporains égyptiens.

Archival image
The Manial Palace residence hall Prince Mohamed Ali Tewfik –
Image courtesy of
The Manial Palace Collection


 

Rien ne s’anime, tout se transforme

Le programme propose divers éléments de styles, de mouvements, de couleurs et de thèmes artistiques, et se décline également en installations et en performances. Il comporte une partie de la vieille garde des beaux-arts égyptiens, avec le sculpteur Ahmed Askalany et son incroyable The Prayers : deux formes vaguement humanoïdes qui, enroulées avec un tressage de textiles, se courbent l’une contre l’autre comme une paire de parenthèses momifiées.

sculpture d'Ahmed Askalany
The Prayers, 2018, Palm leaves d’Ahmed Askalany – Photo courtesy of Abdallah Dawestashy


 
La jeune génération d’artistes égyptiens est notamment représentée par Alyaa Kamel, Égyptienne basée à Genève, qui joue avec la lumière et les ombres, avec sa toile surdimensionnée de figures humaines de toutes formes. L’artiste, qui a visité le Manial Palace avec ses parents quand elle était jeune, se souvient très bien que la salle de bain située au deuxième étage était la seule pièce bénéficiant d’une bonne quantité de soleil et d’une vue sur le jardin. Des années plus tard, elle demande la même pièce pour exposer son travail.

Installation Alyâa Kamel
They Are Here and There, 2018 de Alyâa Kamel – Image courtesy of the artist


 

“Nothing vanishes, everything transforms” : l’expo (presque) comme si vous y étiez !

Parmi les œuvres exposées on apprécie également les peintures de Farida El Gazzar, les installations d’Ahmed Karaly, de Mohamed Monaiseer et de Huda Lotfi, ou encore les projections psychédéliques de Marwan Elgamal.


 
L’Égypte possède un profond patrimoine culturel et artisanal, s’il peut être invisible dans le tumulte du trafic du Caire, il prend une toute nouvelle dimension dès lors qu’il est exposé dans un écrin tel que le palais Manial.

L’exposition est ouverte jusqu’au 27 novembre, tous les jours entre 10h et 16h.

L’auteur
Romaric Gergorin est critique (art, littérature, musique) et essayiste.
Dernier ouvrage paru :
Erik Satie (éditions Actes Sud).

Cyprien Rose est journaliste, mais aussi DJ et animateur du blog Houz-Motik : "Musique, culture DJ, disque vinyle... Il est parfois question d'Internet, de cinéma et de photographie"