Les recommandations en ligne téléportées dans le monde réel !

Temps de lecture : 8 minutes
Signs of the times Nouvelle-Zélande
Mountain wide hires, Signs of the Times © Scott Kelly et Ben Polkinghorne

Installation artistique déroutante et poétique, Signs of the Times part d’une idée de génie : décliner le principe des recommandations en ligne… dans le monde réel. Des pancartes, au beau milieu de la nature, vous proposent ainsi de visiter des lieux « aussi pittoresques que celui où vous vous trouvez ». Interview – décryptage avec leurs concepteurs.

Quand on leur demande « Qui dirige le monde ? », Scott Kelly et Ben Polkinghorne répondent : « les algorithmes de recommandation de filtrage collaboratif ». Ces suggestions, omniprésentes en ligne, apparaissent en fonction de ce que nous regardons, achetons et aimons, autant dire que l’étendue de leur influence est exponentielle. Sur Facebook elles ressemblent à : « Vous avez aimé ceci, vous aimerez cela » ; sur les sites e-commerce comme Amazon, les recommandations peaufinent leur pitch commercial : « Ceux qui ont acheté ceci ont également acheté cela ».

Amusante, pertinente, l’œuvre de Scott Kelly et Ben Polkinghorne (« aussi connus comme « Ben Polkinghorne et Scott Kelly », disent-ils d’eux mêmes) s’expose tout autour de la Nouvelle-Zélande. Pancartes intrusives situées dans des endroits pittoresques, elles indiquent d’autres endroits typiques que vous pourriez aimer. Si leur idée se veut d’utilité touristique, elle nous permet surtout de réfléchir à l’impact quotidien de ces recommandations.

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Mountain Close, Signs of the Times © Ben Polkinghorne et Scott Kelly

 
P.A.M. Comment l’idée a-t-elle pris forme et quand avez-vous débuté le projet ?
S.K. et B.P. Nous sommes des créatifs, on bosse en équipe pour la publicité mais nous aimons aussi réaliser des projets parallèles. Nous avons eu l’idée durant l’été 2017, le projet ne s’est pas fait tout de suite car il y avait un peu d’exploration et de conception. Ensuite nous avons choisi des lieux publics de haut niveau, tout autour de la Nouvelle-Zélande.

Plutôt que de simplement faire une analyse unique, nous voulions montrer une gamme de panneaux. Ceux-ci ont été fabriqués chez nous par James, à Adhere. Ils font quatre mètres de large et le transport n’a pas été très simple, on nous a parfois lancé des regards interrogatifs. Une fois installés, nous nous sommes assis et nous avons regardé comment les gens les appréciaient. Puis nous avons, assez récemment, commencé à communiquer en ligne à propos du projet, et la réponse est très positive.

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Flowers wide hires, Signs of the Times © Ben Polkinghorne et Scott Kelly
Algorithmes recommandation humour
Flowers close © Ben Polkinghorne et Scott Kelly

 
P.A.M. L’avez-vous mis en œuvre avec l’aide, ou l’accord, ou un contact formel, avec les autorités néo-zélandaises ? Si oui, comment ont-elles réagi ? Combien de temps les panneaux d’affichage doivent-ils rester en place ?
B.P. et S.K. Non. Pour ce genre de projet, nous croyons qu’il est bien plus facile de demander le pardon que la permission. Nous les avons donc installés partout. Notre but est simple, nous souhaitons donner le sourire aux gens pour qu’ils considèrent un instant à quel point il est fou que toutes nos décisions en ligne soient finalement fabriquées pour nous. Les réactions sont d’ailleurs si bonnes qu’un grand parc à Auckland nous a contactés pour discuter de l’installation d’un panneau permanent et personnalisé. Ce serait tellement cool !

Signes of the imes artistes interview
Playground wide hires, Signs of the Times © Ben Polkinghorne et Scott Kelly
Signs of the times panneaux Nouvelle-Zélande
Playground close, Signs of the Times © Scott Kelly et Ben Polkinghorne

 
P.A.M.Sur la page du site consacrée au projet, vous fournissez le lien pour une analyse approfondie de ce qu’on appelle les « Chambres d’écho » [L’idée selon laquelle les réseaux sociaux, en raison de ces recommandations automatiques, au lieu de nous ouvrir sur le monde, nous enferment autour de nous, autour des gens qui partagent les mêmes opinions, comme une chambre d’écho qui ne nous renverrait que ce que nous y apportons, ndlr]. C’est plutôt original pour une œuvre d’art. Pouvez-vous développer ? Pourquoi et comment vous voulez donner au lecteur ce genre d’information, ou de pensée ?
S.K. et B.P. Nous aimons Internet et, si ce n’est pas tous les jours, nous utilisons régulièrement des sites comme Amazon, Netflix, Facebook et Asos… Une fois que nous avons eu l’idée, nous avons pris le temps d’examiner le projet. Nous ne savions d’ailleurs même pas qu’il existait un nom particulier pour les encarts du type : « Si vous aimez ceci, vous pourriez aimer cela ».

Le monde des algorithmes de recommandation et de filtrage collaboratif est fascinant. Il y a par ailleurs un article auquel nous avons participé, ce n’est peut-être toujours pas une lecture facile, mais on part du principe que plus nous en savons, plus c’est intéressant : Comment les systèmes de recommandation affectent-ils la diversité des ventes ?

Art tourisme Nouvelle-Zélande
Ocean wide hires, Signs of the Times © Scott Kelly et Ben Polkinghorne
Scott Kelly et Ben Polkinghorne interview
Ocean close, Signs of the Times © Scott Kelly et Ben Polkinghorne

 
En attendant de découvrir un jour futur l’œuvre des deux Néo-Zélandais près de chez vous, n’hésitez pas à découvrir l’ensemble de leur travail ici. Et pour creuser le sujet, voici quelques bouquins pour en savoir davantage sur les algorithmes et leurs utilisations…

Cyprien Rose est journaliste, mais aussi DJ et animateur du blog Houz-Motik : "Musique, culture DJ, disque vinyle... Il est parfois question d'Internet, de cinéma et de photographie"