Située sur la côte sud-ouest de l’Afrique du Sud, la ville portuaire du Cap (Cape Town), dont la population a doublé en 50 ans et compte près de 4 millions d’habitants, accueille chaque année des millions de touristes. Depuis trois ans, la ville subit la pire sécheresse d’Afrique australe en un siècle, aggravée par le phénomène climatique El Niño (qui a pour effet de déplacer les zones de précipitations vers l’Est, dans l’Océan Pacifique).
Dans la région du Cap les pluies commencent donc plus tard et durent moins longtemps, les rivières disparaissent, les barrages sont pratiquement vides. Le tourisme est évidemment frappé de plein fouet, et les habitants du Cap n’auront probablement plus l’eau courante dans leurs foyers d’ici deux mois. Dans les maisons, les rares robinets ne couleront plus, littéralement : les quelques réserves de la ville seront conservées pour les hôpitaux, les pompiers et autres services d’urgence.
Gestion de la crise
En mars 2017 la maire du Cap, Patricia de Lille, tire la sonnette d’alarme et déclare officiellement Cape Town comme « zone sinistrée ». Le niveau d’eau des six barrages qui approvisionnent près de 4 millions d’habitants est alors de 28,6 %. Des mesures restrictives sont prises dès octobre dernier : pas plus de 87 litres par jour et par personne.
Soit une douche de 4 minutes (40 litres) ; trois chasses d’eau (27 litres) ; une vaisselle (9 litres) ; se laver les mains et le visage une fois (3 litres) ; se brosser les dents deux fois (0,3 litre) ; préparer deux plats cuisinés (1,2 litres) ; boire sept verres d’eau (1,75 litre) ; un grand bol d’eau à son animal de compagnie (1 litre).
Novembre 2017, la situation ne cesse d’empirer, les autorités avancent la date fatidique du « Day Zero », le jour où la ville sera vraiment à sec, désormais programmée au 12 avril. Les entreprises jouent le jeu des réglementations : les sociétés de location de véhicules ne lavent plus les voitures, les hôtels et les restaurants ont également restreint l’ensemble de leurs utilisations.
Par ailleurs, le Day Zero existe déjà pour de nombreux agriculteurs et, fin janvier, ceux qui utilisent le système d’approvisionnement en eau du Western Cape (WCWSS) auront atteint le plafond de 58 millions de mètres cubes et fermeront leurs robinets.
Le secteur agricole utilise environ 47 % du WCWSS, contre 48 % utilisé par la ville de Cape Town. Cela signifie qu’à partir de février, il devrait alors y avoir davantage d’eau disponible pour alimenter le Cap< L'effet de cette réduction ne sera connu que le mois prochain, mais il pourrait contribuer à repousser l’échéance du Day Zero.
À qui la faute ?
Critiquée pour ne pas avoir mis en place des restrictions d’utilisation plus tôt, et pour avoir ignoré les avertissements des experts dans les années qui ont précédé la sécheresse, la municipalité a lancé, dans une course contre la montre, sept nouveaux projets d’approvisionnement : quatre petites usines de dessalement ; deux projets de forages visant à extraire l’eau des aquifères ; un qui utilise l’effluent traité. Ces initiatives ajouteraient entre 150 et 250 millions de litres par jour et les prélèvements sur les aquifères pourraient être opérationnels d’ici la fin février.
Les comportements des usagers diffèrent et divisent. Le 18 janvier la ville a affirmé que 60 % des citoyens ne respectaient pas la loi et consommeraient au delà des 87 litres alloués par jour et par personne. Des mesures drastiques vont être prises dès le 1° février, avec une nouvelle structure de tarification et la multiplication par 7 du coût de l’eau pour les gaspilleurs, et une réduction de la consommation à 50 litres par personne.
Le contrôle effectif de l’utilisation de l’eau est susceptible d’avoir le plus grand impact pour éviter le Day Zero, néanmoins les autorités ont prévenu les 4 millions d’habitants que s’ils ne réduisent pas leur consommation avant le 12 avril, les robinets seront à sec. Il faudra alors faire la queue aux 200 bornes-fontaines pour y recevoir une ration quotidienne de 25 litres sous la protection de la police.
La ville a récemment donné aux résidents une démonstration de ce à quoi ressemblera un point de collecte d’eau quand le « jour zéro » arrivera…
Ne pas penser au pire
Personne ne semble aujourd’hui être réellement en mesure de considérer l’impact que peut avoir une grande ville mondiale qui perd son approvisionnement en eau potable, et de nombreuses questions demeurent en suspens. L’aspect logistique par exemple : avec seulement 200 point d’eau pour 4 millions d’habitants (soit 20 000 personnes par point d’eau), comment gérer la distribution quotidienne des rations sans troubles ? Des discussions seraient également en cours avec les forces armées sud-africaines pour permettre le stockage de l’eau sur des bases militaires.
D’un point de vue purement logistique, cela va être un cauchemar absolu
Simon Gear est spécialiste de l’environnement et climatologue. « C’est assez effrayant » raconte-t-il à Anna Maria Tremonti de The Current : « Tous ceux qui travaillent dans le domaine du changement climatique savent que nous avons donné beaucoup de scénarios apocalyptiques au cours des deux dernières décennies, et c’est le premier que j’ai vraiment vu se réaliser. »
Les prévisions de changement climatique prévoient que Le Cap deviendra plus chaud et plus sec au cours des 50 prochaines années. Le boom démographique de la ville a évidemment ajouté à la pénurie d’eau, non seulement en termes d’utilisation de cette dernière mais aussi parce que le sol est de plus en plus recouvert de matériaux durs qui réduisent l’absorption des eaux souterraines.
Attendre la pluie ?
Compte tenu de cette longue sécheresse, personne ne peut prédire quand il va pleuvoir… Par le passé, en avril 2005, alors que la région était également en proie à une sécheresse, près de 100 mm de pluie sont tombés dans le bassin versant autour du barrage de Theewaterskloof. La première pluie significative par la suite est tombée seulement au début de juillet, mais ce seul orage d’avril a suffit à sauver la mise.
A défaut d’avoir de l’eau au robinet, la pression se fait désormais sur les pouvoirs publics. Afin d’éviter le Day Zero, et pour ne plus compromettre le bien-être des citoyens, Cape Town sera-t-elle un cas d’école pour lutter contre le réchauffement climatique via son économie et son écologie ?
En savoir plus : Phys / Timeslive / The Guardian / Le Monde / Businesslive