Un coup de hache, un baiser

Les Puritains ont conclu en beauté la saison de l’Opéra de Liège, donnant à voir et entendre un drame déchirant se déroulant pendant la guerre civile anglaise. Cet opéra de Bellini, avatar romantique de Roméo et Juliette, se déroule pendant les affrontements sans merci entre puritains de Cromwell et royalistes. Toute ressemblance avec l’actualité du Royaume-Uni serait due au hasard…

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Puritains opéra Bellini
© Opéra Royal de Wallonie-Liège

par Romaric Gergorin

Pureté de la mélodie et richesse du lyrisme sont les traits distinctifs du météore Vincenzo Bellini, astre fugace du romantisme, qui en une courte existence de 33 ans créa quatre opéras d’une intense séduction. Le Pirate, La Somnambule, Norma et Les Puritains comptent parmi les grandes réussites du théâtre lyrique italien, avec cette primauté donnée au chant dans un cadre classique, rompant avec la révolution permanente de Rossini pour se focaliser sur l’expression des sentiments surgissant du courant romantique qui envahit l’Europe.

Né à Catane en Sicile en 1801 dans une humble famille de musiciens professionnels, le jeune Vincenzo réussit à dix-huit ans à intégrer le prestigieux Conservatoire de Naples, ville dans laquelle il fait monter son premier opéra en 1825 avec succès. Demandé à Milan, il y crée Le Pirate à la Scala en 1927, puis La Somnambule et Norma en 1831, devenus des opéras parmi les plus populaires du XIX° siècle. S’installant à Paris, il compose Les Puritains créés au Théâtre-Italien en 1835, mourant la même année dans sa résidence de Puteaux, emporté par une tumeur intestinale. Tout fut fini pour lui mais tout commença pour son œuvre qui rayonne aujourd’hui encore de tous ses feux.

Puritains Bellini Mario Cassi
Mario Cassi © Opéra Royal de Wallonie-Liège

Cet opéra de Bellini va être un mot de passe secret pour les lyricomanes purs et durs. “Quelle autre musique peut se vanter d’être aussi constamment inspirée que la partition des Puritains ?” écrit Alberto Savinio pour qui cette œuvre fût un choc esthétique et poétique.

“À entendre ces récitatifs émus, ces mesures animées que basse et soprano, contralto et ténor échangent dans ce qui n’est tout juste qu’un résidu de musique, torrent que le feu de la passion a asséché, je repense aux derniers chromos qui sont recouverts de poussière dans l’arrière-boutique de quelque échoppe lointaine, les châteaux plongés dans la lumière argentée de la lune, les ménestrels avec une plume à leur toque, les châtelaines accoudées aux terrasses et prêtes à faire une échelle de leur chevelure ; imaginations fascinantes, fantômes de la réalité, rêve qui se continue dans la veille, mort qui se mêle à la vie, monde non pas tel qu’il est, mais tel que nous voudrions qu’il fût.”

Romantisme et freudisme

L’attrait pour les romans historiques de Walter Scott battant son plein, l’intrigue de cet ultime opéra de Bellini se déroule à Plymouth en Angleterre, à l’époque d’Oliver Cromwell, juste après la décapitation du roi Charles 1er. On prépare les noces d’Elvira, fille de Lord Walton, un chef puritain. Riccardo pense avoir ses chances d’obtenir sa main mais c’est le jeune royaliste Arturo à qui est promise la jeune femme. Juste avant la cérémonie, celui-ci rencontre une femme mystérieuse et voilée qui est Enrichetta, reine d’Angleterre, veuve du roi fraichement décapité et condamnée au même sort.

Puritains Bellini Speranza Scappucci
© Opéra Royal de Wallonie-Liège

Arturo décide de sauver sa reine et fuit avec elle, laissant sa promise Elvira seule, en proie à des hallucinations. Malgré de nombreuses péripéties et une fin heureuse, la situation mentale d’Elvira ne changera pas vraiment et restera stationnaire dans le ressassement délirant. Bellini retrouve en ce personnage la thématique des états limites de La Somnambule, proche aussi la Lucia de Lammermoor de Donizetti créé la même année. Ces figures féminines déchirées sont autant de cas annonçant l’hystérie féminine moderne circonscrite par Charcot et Freud, ce que releva récemment Jean Clair dans une exposition sur le fondateur de la psychanalyse.

Une mise en scène efficace

La mise en scène de Vincent Boussard, audacieuse et efficace, s’ouvre sur l’enterrement de Bellini duquel s’échappent les protagonistes du drame, créant une ellipse fantastique qui constitue le déroulement de l’opéra. Les costumes intemporels de Christian Lacroix, les décors faits d’un mur en arc de cercle et d’arcades de Johannes Leiacker, les lumières de Joachim Klein jouant du pourpre et du violet, servent idéalement le déploiement moderniste de ce drame romantique. Zuzana Markova campe une Elvira toute en intensité, exprimant l’âme du personnage tant par sa voix qui peut tout que par son jeu d’actrice puissant.

Puritains Bellini Markova Brownlee
Zuzana Markova et Lawrence Brwonlee © Opéra Royal de Wallonie-Liège

À ses côtés, Lawrence Brownie en Lord Arturo Talbot dévoile toutes ses vastes possibilités pour exprimer toutes les nuances du belcanto de Bellini. Autour de ce duo charismatique, le reste de la distribution suit avec talent, notamment les solides Mario Cassi en Ricardo et Luca Dall’amico en Giorgio. À la tête de l’Orchestre Royal de Wallonie-Liège, Speranza Scappucci donne caractère et vivacité à cette version intégrale des Puritains, trouvant l’équation parfaite pour faire vibrer la partition tout en laissant une place appropriée aux chanteurs. Le public liégeois ne s’y trompe pas qui lui réserve une ovation ainsi qu’un triomphe pour l’exhumation réussie de ce drame de la guerre civile anglaise, geste opportun en ces temps de Brexit.

La prochaine saison de l’Opéra de Liège débutera le 13 septembre par une nouvelle production de Madame Butterfly de Puccini, jouée jusqu’au 28 septembre, puis continuera avec Orphée et Eurydice de Gluck en octobre, Les Pécheurs de Perles de Bizet en novembre et La Cenerentola en décembre.

Les Puritains de Bellini, dirigé par Speranza Scappucci, mise en scène de Vincent Boussard, Opéra Royal de Liège Wallonie, vu le 25 juin 2019.

À voir en streaming jusqu’au 22 décembre 2019 sur le site de France Télévision.

L’auteur
Romaric Gergorin est critique (art, littérature, musique) et essayiste.
Dernier ouvrage paru :
Erik Satie (éditions Actes Sud).